Pratiques N°99 Le soin déserté

Qu’est-ce qui fait encore tenir le système de soins alors qu’il est manifestement au fond du gouffre ?
Les fermetures de services, faute de soignants pour les faire tourner, réduisent encore davantage une offre de soins déjà très insuffisante dans certaines régions. À la désertification territoriale s’ajoute une désertion inédite des soignants qui aggrave les difficultés de ceux qui restent et affrontent au quotidien une situation devenue extrêmement critique au cours de la dernière décennie. Or, les métiers du soin exigent un engagement et une motivation qui demandent à être encouragés et protégés par des conditions décentes de travail. C’est précisément ce qui fait défaut et qui conduit les professionnels à l’abandon.
Dans une société qui compte tout ce qui se vend, il faudrait exiger que d’autres comptes soient mis en œuvre qui chiffrent le coût humain et financier de ces désertions et les considèrent à l’aune de leurs effets…
Si nos craintes exprimées depuis de très nombreuses années semblent se réaliser inexorablement, comment envisager l’avenir d’un système de soins solidaire sans les compétences de ceux qui sont partis ?
Comment faire cesser un tel gâchis humain et financier, car le coût du désastre (formations, destructions, désaffections) dépasse ce qu’il aurait fallu d’investissements pour faciliter le travail des soignants et leur apporter la satisfaction sans laquelle nul ne saurait tenir dans ces métiers à fortes contraintes ?
Si les médecins ne trouvent plus leur compte dans l’exercice de leur métier à l’hôpital public, quelles motivations retiennent ceux qui continuent à y exercer ?
Les infirmières ont pour habitude (et consigne) de se taire et se sentent coincées entre le patient et le système qui ne fait qu’ajouter des contraintes aux contraintes. Mêmes questions que pour les médecins, mais sans doute pas les mêmes réponses…
La société a changé, la frustration n’est plus acceptée et l’altruisme n’est pas au goût du jour. Or, sans le souci de l’autre, il ne peut y avoir ni société ni soin, et ce pourrait bien être la limite des injonctions néolibérales qui ont produit cette déresponsabilisation générale à laquelle seuls quelques individus résistent vaillamment.
Sans un sursaut rapide, des pans entiers de savoirs soignants disparaîtront et manqueront cruellement à ceux qui en ont besoin. Comment sensibiliser chacun à la dégradation du système de santé, aux problèmes d’accès aux soins qui nous concernent tous ?
Il est temps de sortir de la passivité qui nous a amenés dans ce cul-de-sac, de retrouver le sens des priorités avant qu’il ne soit trop tard, de se réapproprier la notion de responsabilité individuelle et collective qui permettrait de reprendre le contrôle, là où on est, pour éviter le naufrage.
Reprendre la main, comme au début de la pandémie ?

ISBN : 978-2-919249-98-5

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