Pratiques N°77 Tout le contraire !

Nombre d’entre nous ont la conviction que le monde tourne à l’envers, que beaucoup de dispositions dans l’organisation de la société sont contraires au bien-vivre ensemble, à l’équilibre et à la sérénité de la population, et augmentent les inégalités d’accès à l’essentiel.
Dans la santé, les mesures d’austérité et l’idéologie qui les accompagne font disparaître une conception du soin qui permette d’accueillir et de soigner les personnes en tenant compte de leurs particularités, de leurs trajectoires et de leurs conditions d’existence. D’autres injonctions, soutenues par des protocoles et autres dispositifs basés sur une idéologie scientiste du soin, font obstacle à tout ce qui relève de la clinique, de l’accompagnement des personnes souffrantes et de la complexité d’un exercice soignant qui ne peut que s’opposer à la standardisation. La formation des soignants s’inscrit dans ce non-sens et déstabilise gravement ceux qui sont désireux de prendre soin de leurs semblables. C’est à partir de nos regards et expériences de soignants, de citoyens et de chercheurs que ce dossier « Tout le contraire ! » pose la question du sens, relaie les observations, analyses et propositions qui nous semblent mieux adaptées aux besoins des uns et aux compétences des autres, pour en dégager des alternatives concrètes.
À l’heure où nous constatons que le lien social se délite et que de plus en plus de personnes sont isolées, se développe une médecine garagiste qui se décharge de l’accompagnement et des soins aux personnes au profit d’une pratique de l’intervention technique, voire ambulatoire dont le seul intérêt est la productivité.
La psychiatrie est sommée de s’aligner sur le même modèle scientiste et de produire des résultats à court terme alors que toute pathologie psychique requiert d’abord du temps et de l’attention de la part des soignants. Les préconisations des autorités tendent à disqualifier des décennies d’innovations sur le terrain. Toute la richesse des savoirs et des expériences développés pour soigner les personnes atteintes de pathologies psychiques passe à la trappe de choix idéologiques ou partisans, en complet décalage avec les acteurs.
Le traitement réservé aux réfugiés ajoute du traumatisme au traumatisme de l’exil. Les conditions de vie au travail se sont considérablement aggravées, l’activité s’est densifiée alors que le chômage affecte de nombreuses personnes. La violence est de plus en plus présente à tous les échelons de la société, accentuant le sentiment d’inquiétude et d’isolement quand le besoin de créer du lien n’a jamais été aussi important
Nous ne sommes pas dans la nostalgie du passé mais nous n’avons pas envie d’un monde qui nous dépossède de notre humanité. Nous sommes décidés à poursuivre nos efforts de construction d’alternatives tant au niveau de la société que des politiques de santé ainsi que dans notre quotidien de soignants. C’est en jouant sur les marges que nous pouvons encore inventer des systèmes utiles et efficaces afin de continuer à soigner, vivre dignement et résister.

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