Pratiques N°93 Peut-on soigner sans toucher ni être touché...

La médecine moderne a développé des outils permettant de distinguer les organes et d’en mesurer le fonctionnement. La tendance objectiviste qui accompagne ces progrès technologiques a pour corollaire une négligence du ressenti et de la subjectivité de la personne, réduite à ses symptômes. L’écoute, le regard, le toucher, ne font quasiment plus partie de l’examen diagnostique et font disparaître de la consultation le temps précieux de la relation sans laquelle le soin est réduit à sa plus simple expression. Le désir de distanciation qui anime nombre de praticiens, craignant d’être « touchés », prend le pas sur l’indispensable expression de leur empathie à l’égard de ceux à qui ils prétendent venir en aide, comme si tout ce qui permet le rapprochement du soigné et du soignant présentait un risque de confusion.
La Covid, qui continue à sévir, accentue, voire prescrit cette tendance à la séparation physique des personnes soignées et soignantes, dont la téléconsultation est devenue le symbole. Les termes de distanciation sociale, gestes barrières vont alors bien au-delà de la prudence recommandée en vue de diminuer les risques de contamination. L’interdiction de se toucher, même la main, d’embrasser ceux qui nous sont chers, entretient une artificialisation des comportements et pèse cruellement sur les relations familiales, amicales etc.
Nombre de soignants ne peuvent cependant envisager leur métier comme une pratique sans toucher ni contact, et souffrent de ces nouvelles normes érigeant l’asepsie et la distance en dogme et affaiblissant la pratique clinique.
Les réductions drastiques de personnel dans les hôpitaux et les fermetures de lits sont fondées sur la quantification des actes et la rationalisation des gestes. L’absence de considération du temps nécessaire à la rencontre, pour des soins de qualité, tels que les conçoivent les professionnels et que l’attendent les patients, contribue au sentiment de perte de sens et à la démobilisation des soignants.
Quelle révolution devrons-nous opérer dans la formation des soignants, des médecins et des gestionnaires pour qu’ils intègrent la nécessité de défendre le temps d’une relation de soin épanouissante pour eux-mêmes comme pour les patients ? La subjectivité, la construction d’une confiance mutuelle sont indispensables pour répondre aux attentes des personnes en difficulté et conforter leur propre équilibre psychique.

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