Pierre Delion
Pédopsychiatre en retraite
Maintenant tout le monde le sait, la psychiatrie est en perdition, et il n’est pas un jour sans annonces catastrophiques la concernant.
Les Français ont mal à leur santé mentale, et pendant que les dirigeants en font un objet de communication de plus, le service public de psychiatrie de secteur est au bord du gouffre et ses prestations sont rachetées « à la découpe » par le privé à but lucratif.
Les patients ne sont plus traités comme nous savons et devons le faire. Les conditions d’accueil restent indignes quand elles ne sont pas liberticides. Les soignants-psychiatres, psychologues, infirmiers et autres sont déprimés, démotivés, découragés et ont envie de quitter l’hôpital public ou même de changer de métier. Les très nombreux administratifs de la psychiatrie commencent à se trouver en difficulté pour répondre aux questions cruciales que pose la déshumanisation de la psychiatrie. Les médecins généralistes sont eux-mêmes débordés par les patients porteurs de souffrance psychique.
Pendant que se joue ce drame qui concerne les malades, leurs familles et leurs soignants, le gouvernement met la dernière main à un projet de psychiatrie portant essentiellement sur une approche nouvelle fondée sur la recherche et les neurosciences. L’ensemble du système de la psychiatrie française, publique, associative et privée va se réorganiser autour du concept de plateformes diagnostiques disposant de moyens conséquents pour entreprendre des bilans neurophysiologiques approfondis (recours aux IRM, à l’intelligence artificielle, aux algorithmes…) débouchant sur les diagnostics promus par le DSM V (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, de l’Association américaine de psychiatrie) et passibles de traitements médicamenteux et cognitivo-comportementaux, à l’exclusion de toute autre approche de la souffrance psychique spécifiquement humaine. Le dernier décret relatif à l’expertise des psychologues du 10 mars 2021 indique de façon limpide la direction prise par la « réforme » promise.
Nul ne peut contester l’intérêt des recherches en génétique et neurosciences, mais elles ne peuvent en aucun cas répondre à la question de l’humanité de la psychiatrie à elles seules.
Les travaux portant sur la psychopathologie transférentielle avaient permis de restaurer l’humanité dans la relation avec des patients en grandes difficultés dans leur souffrance psychique. La prescription de médicaments et de traitements psychothérapiques ne peut se penser hors de cette relation intersubjective spécifique de l’humain. Et c’est précisément ce qui avait permis à la psychiatrie de s’ouvrir au monde, notamment grâce à cette invention française que nous ont envié les autres pays, la psychiatrie de secteur.
Le succès de cette organisation sectorielle a été tel que les listes d’attente des consultations dans les Centres médico-psychologiques (CMP) se sont accrues à un point difficilement compatible avec les très faibles moyens mis à la disposition des équipes soignantes. Quand un médecin des beaux quartiers demande un an d’attente pour fixer un rendez-vous, ne dit-on pas qu’il doit être excellent ? Mais que la même durée existe dans le secteur public et voilà que l’équipe ne saurait pas s’organiser…
La psychiatrie qu’on nous promet va droit dans le mur de la régression la plus scandaleuse puisque nous savons comment soigner humainement.
Les projets gouvernementaux actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux et doivent être reconsidérés, non pas en suivant les avis de lobbies partiaux et portant sur des revendications partielles, mais, démocratiquement, avec ceux de tous les partenaires de la cité concourant à une psychiatrie digne de ce nom.