Pratiques N°25 Hold-up sur nos assiettes

Se nourrir : des jeux brouillés

Parler de l’assiette, c’est parler du contenu de cette assiette, de la façon dont on mange et avec qui on partage son repas. C’est aussi parler des différents pouvoirs qui tournent autour de notre assiette et déforment nos façons de manger, tels les enjeux économiques, mais également la médecine.

C’est enfin constater que l’alimentation - et l’aide alimentaire - représentent un énorme marché mondial qu’une minorité s’est approprié ; le hold-up de quelques sociétés agroalimentaires maintient le pouvoir des pays du Nord sur les pays du Sud et aggrave la malnutrition : malgré une production alimentaire suffisante au niveau mondial, certains mangent trop tandis que d’autres ont faim.

Partout la dégradation de l’alimentation s’accélère et les inégalités se creusent. A des degrés divers, mais dans tous les pays, l’abondance côtoie la disette, la maigreur l’obésité, tandis que le marketing diététique fleurit sur les troubles du comportement alimentaire, les normes médicales ou les désirs compulsifs. Les programmes sanitaires rajoutent leur touche culpabilisante aux messages publicitaires normatifs. Ecartelés entre des injonctions contradictoires, des aliments sans saveur ou au goût standardisé, mais habilement packagés, des produits toxiques utilisés en excès par une agriculture qui se dit raisonnée, producteurs et consommateurs perdent le goût de nourrir et d’être nourris.

La fin du partage des repas annonce-t-elle l’écroulement de nos sociétés ? On ne touche pas impunément aux liens qui donnent sens à l’assiette. Cuisiner, prendre un repas et partager sa table, ce sont des histoires qui enracinent et tissent des solidarités dans la diversité : depuis les liens familiaux dès le début de la relation parent-enfant jusqu’au partage des repas, des savoir-faire, des histoires de vie. De façon plus archaïque, la tétée, puis ensuite le repas avec le rapport faim-satiété sont un des lieux où se construisent l’identité et le désir.

Il est temps de reprendre en main notre alimentation, bien trop précieuse pour être laissé aux marchands. Retrouvons le temps de cuisiner, d’éveiller les sens des enfants afin qu’ils deviennent des confectionneurs et des goûteurs ; travaillons ensemble pour que manger à la cantine ou à la maison redevienne un plaisir.

Tâchons aussi de remettre les normes à leur place et de ne pas trop médicaliser la mal-bouffe ou les loisirs passifs ! Notre ordonnance n’est pas là pour faire diversion. Nous voyons l’impact des pubs sur les enfants, le poids de la précarité sur les soi-disant « choix » alimentaires. Ici encore, modeste et immense tâche d’entendre la souffrance, mais aussi de décrire la réalité, de jouer au médecin sentinelle. Un peu moins médical, déjà plus politique...

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