Le monde d’après sera celui d’avant !

États d’urgence à répétition : les classes dirigeantes révèlent leurs stratégies de contrôle de populations désormais divisées. Désobéir deviendra peut-être un impératif moral sans jamais perdre de vue ce qui se joue au sein du capitalisme dans le champ de la santé.

Franck Lepage
Délinquant sanitaire, islamo-gauchiste… et indubitablement écolo-délinquant, membre de l’association d’éducation populaire L’ardeur

L’épisode Covid aura donné lieu à une formidable opportunité d’éducation populaire dont la répression féroce, voire la criminalisation, donne une idée du monde qui continue. Sur les réseaux sociaux, sur les radios alternatives, sur les chaînes Internet, un élan de curiosité aura conduit nombre de gens à se poser des questions d’ordre médical, sanitaire et politique. Ceci est une bonne nouvelle : des personnes qui ignoraient tout de ce type de problématique se sont mises à s’intéresser à la différence entre un vaccin et une thérapie génique, à découvrir des problèmes d’épidémiologie, à entendre parler seuil d’immunité collective, à comprendre la comorbidité, à comparer des chiffres de mortalité, de létalité, et personne ne connaissait la protéine Spike l’année dernière (sans parler de découvrir l’état des hôpitaux !).
Las, ce qui aurait pu être l’occasion pour un gouvernement démocratique de s’appuyer sur une intelligence collective s’est transformé en une chasse aux sorcières, dont il restera l’image consternante d’un cordon de gendarmerie entourant une famille pique-niquant sur une plage. Comme pour l’épisode des gilets jaunes, ni les médias officiels, ni les partis politiques, ni les institutions comme la police ne sortent grandis ni renforcés dans la confiance de la population à leur égard.
Toutes les tentatives de questionnement des choix de politique sanitaire se sont transformées en un acte de délinquance, tant au niveau du pouvoir qu’au sein d’une population divisée. De grands médecins ont abîmé leur carrière ou leur réputation dans leur tentative de ramener à la raison scientifique, d’autres ont préféré se taire. Le « monde d’après », expression qui ravit le Medef, ne sera que la continuation de ce qui avait commencé dans celui d’avant : le renforcement d’un capitalisme autoritaire avec le soutien accru des médias et d’une partie de la population ou de forces politiques ralliées à la raison de l’état d’urgence.

Car la classe dominante dispose maintenant de trois stratégies d’urgence : terroriste, sanitaire et (bientôt) climatique qui se combinent au service d’un capitalisme qui achève de se libérer de ses contraintes. Des formes de contrôle renforcé des populations créent des délinquants sanitaires (les lettres de dénonciation qui ont saturé les gendarmeries et les mairies durant l’épisode pandémique), des délinquants intellectuels (les universitaires « islamo-gauchistes » et les penseurs coupables de « complaisance » dans leur tentative d’analyser le terrorisme), et les délinquants climatiques repérés par les drones qui cartographient dans les villes les fuites de chaleur des bâtiments qualifiés d’épaves thermiques au nom de l’urgence climatique.
L’élection de Macron ayant été saluée par les Américains comme mettant enfin un terme au modèle français issu de 1945, le paradigme d’état d’urgence sanitaire qui monopolise l’activité politique, économique et médiatique depuis février 2020 accélère la dérégulation de l’économie entreprise depuis les années quatre-vingt et la liquidation des trois grands acquis de 1945 en termes de protections sociales : santé, retraite, chômage.
Du côté de la gauche électorale, on fait corps avec le discours gouvernemental au nom de l’union sacrée contre le virus, une raison supérieure qui ne laisse pas place à une critique de la politique sanitaire, si ce n’est sur sa gestion, mais pas sur le fond. On réclame plus de vaccins, plus vite, pour plus de monde, on déplore les cafouillages, mais les principes mis en œuvre, qu’il s’agisse de l’obligation du masque en extérieur, à l’école ou pour les enfants, de l’interdiction des rassemblements, du confinement, de l’imposition du télétravail, de la mise à l’arrêt de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, de la fermeture des cafés, restaurants, clubs de sport, de l’arrêt des activités culturelles, de la fermeture des stations, ou de la vaccination de masse comme seule issue… etc. etc. rien de tout cela ne fait l’objet d’une contestation. Cette gauche-là aura été alignée sur l’idée : seul un vaccin distribué massivement permettra de reprendre le cours des choses. Le virus lui-même, l’évaluation de sa dangerosité, sa létalité, sa mortalité, n’aura fait l’objet d’aucune interrogation : le virus existe et c’est suffisant. L’enjeu électoral ne permet pas de s’écarter du discours asséné heure après heure par les médias.

Quant à la gauche radicale, la fameuse « gauche de gauche », elle semble avoir basculé dans une hostilité à toute critique de la politique sanitaire au nom de l’anti-complotisme. Le résultat est inquiétant : l’alliance objective d’une certaine gauche radicale au discours gouvernemental rejoint l’alliance opportuniste de la gauche institutionnelle… S’il y a des critiques, elles ne sont pas relayées. Cette posture ouvre une autoroute à ceux qu’elle prétendait combattre : l’extrême droite, qui s’installe en monopole d’une critique délaissée par la gauche… ce qui renforce l’hostilité de la gauche, etc., etc. cercle vicieux.
La disqualification de toute critique de la politique sanitaire du gouvernement, désignée comme « complotiste » au motif d’une similarité avec des contestations pouvant émaner de l’extrême droite, conduit à faire taire et reculer les espaces démocratiques, pour la plus grande satisfaction de l’exécutif et des médias gouvernementaux, dont ils deviennent de facto les collaborateurs. Qu’à travers le recours problématique à l’accusation de « complotisme » des mouvances se réclamant de l’extrême gauche propagent, relaient et valident le discours de TF1 et BFM a de quoi interroger par la nouveauté du phénomène.

Le plus inquiétant restant cependant la division (le mot est faible) de la population. Des amitiés, des relations familiales se sont déchirées durablement. Refuser la vaccination, trouver grotesque le port du masque dans une forêt ou sur une plage, ne pas accepter que le discours anxiogène des médias transforme une moitié de la population en irresponsables aux yeux de l’autre moitié. L’idée insupportable d’un monde où une manipulation d’une telle ampleur de la part des multinationales de la pharmacie serait possible, la possibilité offerte de quitter l’inconfort de la contestation et la volonté de croire à la bienveillance de l’autorité, et de rallier l’ordre établi afin d’enfin y consentir, se fondre dans la normalité, la peur de la mort et de la contagion et la puissance paralysante du mythe épidémique relayé par le quatrième pouvoir – celui des médias –, tout cela aura créé un climat délétère qui rappelle d’autres époques où il ne faisait pas bon se mettre du mauvais côté face aux « braves gens ».
Le débat sur la dangerosité du virus ne peut pas être tranché scientifiquement. C’est un débat d’opinion. On ne peut pas estimer « scientifiquement » ni « objectivement » la dangerosité d’un virus. Par exemple, un chiffre comme 4 000 personnes en réanimation peut être regardé comme inquiétant, voire affolant, et justifiant des mesures de restriction des libertés, ou comme un chiffre banal, ou faible, invalidant les mesures de restriction présentées alors comme excessives, voire totalitaires. Les deux interprétations sont acceptables, car l’échelle d’interprétation est subjective. On pourrait tout aussi bien dire que 400 malades en réanimation sont un chiffre inquiétant, et les médias pourraient dramatiser à l’infini ce chiffre. L’alibi de la saturation des services hospitaliers mis en avant par ceux-là mêmes qui ont réduit les moyens, est spécieux : rouvrons les 100 000 lits et les hôpitaux fermés en dix ans, et il n’y a plus de saturation. Continuons – comme c’est annoncé pour l’année prochaine – à réduire services et effectifs, et confinons à l’année !
De même que le chiffre « effrayant » de 3 millions de morts dans le monde (France Inter) répété chaque jour, peut être reçu d’une façon dramatique, ou au contraire être ramené au ridicule de sa valeur mise en regard des 7 milliards d’individus de la planète au dénominateur, soit trois morts (de 83 ans) pour 7 000 habitants, ou 1 mort pour 2 300 habitants, c’est-à-dire IN FINE un confinement mondial pour une « pandémie » qui tue 0,5 individu pour 1 000 habitants. Ça n’est qu’une question de point de vue et d’appréciation. Le rapport à la mort et à la maladie est subjectif. Le débat qui consiste à savoir si les mesures adoptées sont appropriées, insuffisantes, ou au contraire excessives, est un débat ne pouvant pas être tranché et qui détourne notre attention de ce qui se joue et ce qui se met en place à la faveur de cette pandémie, dans l’ordre des modifications structurelles des modes de production et d’organisation de la société – nous parlons ici du capitalisme comme rapport de production et comme rapport social et culturel.

Nous découvrons le pouvoir jusque-là sous-estimé de l’industrie chimico-pharmaceutique qui a pris contrôle de nos corps en étant capable d’imposer bientôt des vaccinations massives en population générale et des passeports sanitaires. Nous vérifions chaque jour, en voyant une personne conduire sa voiture avec un masque, le pouvoir ahurissant des médias d’instiller la peur dans la population au service de cette industrie. Alors oui, la santé qui vient sera révolutionnaire, c’est-à-dire insurrectionnelle, ou elle ne sera pas. Les délinquants sanitaires d’aujourd’hui seront peut-être les ferments d’une politique de santé fondée à nouveau sur l’intérêt général et non sur les profits particuliers, dans l’esprit reconquis de 1945 et des jours heureux.


par Franck Lepage, Pratiques N°94, août 2021

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