Brèves de handicap

Anne Perraut Soliveres, cadre supérieur infirmier, praticien-chercheure

La débrouille

Annick a 71 ans, elle est touchée depuis une vingtaine d’années par une de ces pathologies neurodégénératives héréditaires qui la prive de ses forces, de son équilibre et donc, de la marche. Cette maladie progresse inéluctablement et Annick a vu sa mère dépérir et sait exactement ce qui l’attend, ainsi que deux de ses sœurs. Cette pathologie affecte également les muscles qui permettent la parole, ce qui rend difficile toute démarche téléphonique. Toutes ces difficultés ont compromis son autonomie, ses réflexes et sa vie sociale, mais pas sa détermination à se débrouiller seule dans sa grande maison. Elle fait face jour après jour aux déficits qui affectent petit à petit ses capacités physiques (mais pas cognitives). La perte de sensibilité de ses doigts ne lui permet plus d’éplucher des légumes, d’ouvrir des bouteilles, ni aucune motricité fine comme le bricolage, la couture ou le tricot. Elle en profite donc pour se faire manucurer et a des ongles toujours parfaits…
Elle vit seule depuis la mort de son mari, à 36 ans, et fait face au quotidien avec l’aide d’une amie qui lui fait ses courses, d’un voisin complaisant qui sort ses poubelles et veille un peu sur elle, d’une belle-sœur qui la soutient dans ses démarches administratives et médicales. Son jardin est entretenu par une entreprise spécialisée et elle a une femme de ménage qui vient l’aider deux heures tous les quinze jours pour les choses trop physiques. Sa famille est dispersée et elle est en conflit avec son fils unique qui ne souhaite pas l’aider.
Ce qui me semble exemplaire dans la vie d’Annick, c’est sa capacité à anticiper les difficultés. Elle a équipé sa salle de bains et ses toilettes au fur et à mesure à l’aide de catalogues spécialisés et parvient à faire face à ses déplacements à l’intérieur à l’aide d’une chaise de bureau à roulettes qu’elle mobilise avec ses pieds et d’un mini déambulateur dans lequel elle transporte tout ce qu’elle ne peut plus porter. Elle ne bénéficie d’aucune prise en charge médicalisée et tient par-dessus tout à sa liberté.

La caisse prioritaire

Dans chaque hypermarché, il y a une caisse dite prioritaire qui permet à ceux qui ont du mal à rester debout de ne pas trop attendre. Je supporte difficilement la station debout prolongée et jusqu’à il y a peu de temps, il était indiqué sur le panneau surplombant la caisse qu’il fallait avoir plus de soixante-dix ans pour en bénéficier, être enceinte ou accompagnée d’enfants ou avoir une carte de handicapé. Affectée d’une pathologie rhumatismale (qui ne se voit pas), je me trouve dans une phase très douloureuse et je me rends vers cette caisse ouverte, où personne n’attend. La femme assise à sa caisse m’arrête, me disant : « Madame, vous avez une carte d’handicapée ? » Surprise, je lui réponds : « Non, je suis seulement vieille et je pense que ça se voit… » La femme a l’air gêné mais me fait signe d’avancer sans un mot. En lisant la pancarte derrière elle, je constate que « la personne de plus de soixante-dix ans » a disparu de la liste des bénéficiaires…

Le téléphone rend sourd et aveugle

Je suis dans le métro sur la ligne 1. Une quinzaine de trentenaires les yeux vissés sur leur téléphone occupent toutes les places. J’arrive à me glisser sur un strapontin lorsqu’entre une jeune femme avec des béquilles. Je me lève aussitôt et l’invite à prendre ma place. Elle me répond : « Certainement pas madame, ce n’est pas à vous de vous lever » (j’ai largement dépassé les soixante-dix ans). Personne ne semble avoir entendu sa remarque ni ne se manifeste. Encouragée par la jeune femme, je demande assez fort : « Quelqu’un pourrait-il donner sa place à la dame avec des béquilles ? » Un seul des hommes lève la tête, gêné, et s’excuse de n’avoir pas vu la situation. Il laisse sa place à la jeune femme.

par Anne Perraut Soliveres, Pratiques N°109, novembre 2025

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