Elisabeth Maurel-Arrighi,
médecin généraliste
Les femmes enceintes qui se sentent isolées, par les difficultés de l’exil ou par de vieux manques d’affection maternelle souffrent, me semble-t-il, davantage des nausées du début de grossesse. Cela peut aller jusqu’à des vomissements permanents qui sont très angoissants, comme si l’acte basique de se nourrir leur était impossible, voire interdit, les mettant, elles et leur enfant, dans une sensation de danger vital.
Je crois qu’il ne faut pas banaliser ces symptômes et proposer une vraie réponse soignante. Celle des médicaments, allopathiques, homéopathiques, acupuncture, sans hésiter, lors des vomissements incoercibles, de prescrire des neuroleptiques comme le Largactil® en goutte et des inhibiteurs de la pompe à protons vues les œsophagites et gastrites souvent associées. Mais surtout, il me semble nécessaire de proposer l’aide de la parole et de l’écoute. Deux questions me semblent précieuses : « Dans votre pays, que donne-t-on à manger aux femmes enceintes ? », « Quand vous étiez petite, qu’est-ce que vous aimiez manger ? ». Alors elles peuvent prendre appui sur des souvenirs positifs, malgré leurs angoisses actuelles et anciennes. Et là arrivent toutes sortes de recettes, auxquelles je n’aurais jamais pensé, comme les cornichons marinés qui ont été d’un grand secours pour une patiente polonaise. Ensuite, il me paraît utile de voir avec les femmes qui sont trop incommodées par les odeurs de cuisine qui peut préparer pour elles des repas qui leur fassent plaisir, leur mari, leur mère, des amies si elles sont là. Parfois, les patientes parlent de situations d’extrême solitude, où seule l’écoute du soignant atteste de la légitimité du besoin d’être entendue et comprise. De même, les mères des femmes enceintes ont parfois besoin d’être encouragées à soutenir leurs filles adultes, et à leur préparer à manger, quand elles-mêmes elles n’ont pas été aidées par leur propre mère. Quand on prend le temps de soulever le couvercle de la marmite des nausées, montent les odeurs des vieilles peurs, des vieux chagrins, et aussi des moments joyeux d’autrefois. Aux soignants d’être présents, et d’offrir aux femmes de se reconnecter avec des sensations réconfortantes. Parfois la simple purée-jambon de l’enfance est le seul plat qui peut passer.