Yveline Frilay,
médecin généraliste
Comment imaginer qu’un tel incident provienne du Japon, pays à la pointe de la technologie ? Tchernobyl était explicable : une conjugaison de causes peut être avancée, dont l’économie du pays. L’incendie dura du 26 avril au 9 mai 1986. La partie supérieure du cœur du réacteur à l’air libre a facilité la diffusion du nuage radioactif : 12 milliards de milliards de becquerels, 30 000 fois la quantité annuelle de toutes les installations mondiales rejetée dans l’environnement, malgré 5 000 tonnes de matériaux déversés par hélicoptère sur le réacteur. Jusque mi-mai, les éléments volatiles (iode 131, césium 134 et 137) de période radioactive de huit jours, deux ans, et trente ans se déversent sur l’Europe. La version officielle est que la France [1] est épargnée : le nuage constitué d’éléments à demi-vie courte, se serait appauvri en chemin ! L’information repose sur un seul homme : le Dr Pellerin qui siège dans toutes les commissions nationales [2] et internationales [3]. Discours isolé en Europe, fallait-il le croire ?
Le nuage de Tchernobyl
La météo, la géographie, les modes de vie de la population expliquent les risques sanitaires français. Les feuilles interceptent les particules radioactives en suspension dans l’air : légumes à feuilles, salades, épinards, poireaux, herbes sont les plus touchés. Les herbivores contaminent la chaîne alimentaire : produits laitiers (lait de chèvre, de brebis), viandes, surtout dans les trois premiers mois. Mais il faut aussi compter avec le stock durable de césium 137 dans le sol : en forêt, l’activité reste élevée dans les champignons, les baies, le gibier.
Communiquer seulement sur l’iode 131 dont la demi-vie est de huit jours est un mensonge par omission. L’activité du Césium 137 est dix fois supérieure, d’autant qu’il pleut [4] et que les zones sont montagneuses (Alpes) ou forestières : le feuillage des arbres capte facilement les poussières radioactives de l’air. En 2010, la contamination des produits agricoles a nettement diminué : 10 à 30 fois plus faible qu’en 1987, 1 000 à 10 000 fois plus faible qu’en mai 1986, elle baisse lentement au cours du temps. Les eaux de rivière ne seraient pas atteintes de manière durable ? Quelles recommandations pour les femmes enceintes et leurs nouveaux nés, alors que le Césium 137 passe dans le lait maternel ?
Faute de mesures en 1986, la CRIIAD [5], association à but non lucratif créée après Tchernobyl, défend le droit à l’information sur la radioactivité et le nucléaire, à la protection contre les dangers des rayonnements ionisants. C’est aussi un laboratoire qui fait des mesures, qui a pu fournir des informations fiables sur les risques nucléaires liés au nuage japonais.
Les conséquences de Tchernobyl sur la santé des Français
Quelle que soit notre région d’exercice, nous observons un surcroît de pathologies thyroïdiennes : cancers, thyroïdite, dysthyroïdie, goitre multi hétéronodulaires, nodules de plus en plus gros, d’évolution très rapide. Pathologies autrefois plus fréquentes chez les femmes, dont le sexe ratio tend à se rapprocher de 1, entre 18 et 50 ans. Les statistiques de 2001 [6] confirment l’augmentation du nombre de cancers de la thyroïde depuis vingt ans, mais d’habiles arguments innocentent Tchernobyl. L’augmentation de l’incidence dépend du lieu de séjour au moment du passage du nuage et des habitudes alimentaires. Si l’augmentation de ces pathologies était liée au développement de l’échographie, l’augmentation se ferait en plateau, or l’incidence des cancers thyroïdiens progresse : en 1975, 1,5/100 000 habitants, 2,5 en 1985, 4,5 en 1995, 10,6 en 2005, soit sept fois plus.
Selon l’IRSN [7], le cancer thyroïdien de l’adulte est induit par des facteurs multiples. Sur leur site, toutes les études répertoriées sur le nucléaire et les cancers sont mises en doute : « demande à être confirmée », « existence de biais », sans argumentation. La France nie le risque du cancer thyroïdien lié à vingt ans de surexposition radioactive, pourtant il est connu qu’après exposition aux jeunes âges, ce risque continue à s’exprimer. De même pour l’IRSN, le risque de leucémies radio-induites chez les liquidateurs de Tchernobyl n’est pas démontré. D’après une étude de 1998 [Littlefield], le risque serait surestimé. De son côté, Gluzman [2005] parle de sous-estimation liée à la définition du statut de liquidateur, la difficulté du suivi de populations de très grande taille, les incertitudes sur les doses individuelles, la validité des diagnostics... L’augmentation des lymphomes en Basse-Normandie est-elle liée aux pesticides ou à la centrale ? [8]
Effets du césium 137 sur la santé
Quand on dose la vitamine D, on remarque que les carences ne touchent plus seulement les personnes de plus de 65 ans, mais tous les âges. Quel est le rôle de la diminution de la couche d’ozone ? Une autre piste doit être soulevée : des troubles du métabolisme de la vitamine D sont observés lors de la contamination par de faibles doses de césium 137, augmentant les risques osseux de fracture. L’exposition chronique au césium 137 durant la grossesse perturberait le métabolisme de la vitamine D. Il est d’ailleurs recommandé depuis 1997 de prescrire de la vitamine D aux femmes enceintes, suite à des observations de troubles osseux chez les nouveaux-nés. Vingt ans après Tchernobyl, il y a toujours du césium 137 dans l’alimentation, ingéré et assimilé comme son homologue et compétiteur naturel, le potassium. Dans l’organisme, il se concentre dans le muscle, plus encore chez l’enfant. Le césium 137 augmenterait l’incidence des pathologies cardiovasculaires, une étude récente mettant en évidence une association entre carence en vitamine D et ces pathologies [9]. À faible dose, il induit une augmentation des cancers de la thyroïde, des malformations congénitales, des troubles neurologiques. À quand des études de santé publique en France ?
À suivre, deuxième partie à paraître dans Pratiques no 57.