De l’envie de vivre et comment

De la difficulté à prendre soin de celle ou celui dont la demande est corrélée à une injonction de se soigner venue d’ailleurs.

Sylvie Cognard,
médecin généraliste

Du plus loin qu’il m’en souvienne, je n’ai jamais reçu un patient venant spontanément me demander de l’aider à arrêter de consommer un produit psychostimulant quel qu’il soit. C’est éventuellement moi, le médecin, qui abordait la question devant une souffrance psychique alarmante, devant des signes cliniques inquiétants ou encore devant des résultats d’analyses perturbés que j’avais demandés en me doutant par avance du résultat.
Les motivations de mes patients étaient tout autres que l’éventuelle protection de leur santé. L’un me demandait de récupérer son permis de conduire après une contravention pour conduite en état d’ébriété, l’autre était sommé par les autorités judiciaires d’arrêter sa consommation et de se rendre régulièrement à ma consultation, l’un devait s’acheter une conduite après avoir amoché un congénère lors d’une rixe, l’autre était sommé par sa famille ou sa compagne d’arrêter de boire s’il voulait continuer de vivre auprès de sa compagne...
Qu’en était-il alors de ma fonction de médecin quand ce n’était pas moi qui proposais de discuter autour du produit ? Certes, en les recevant avec leurs demandes suggérées par les autorités judiciaires ou familiales, je leur rendais service et cela m’offrait une occasion de demander des nouvelles, de discuter avec eux de leurs éventuels problèmes de santé. L’important pour moi était d’éviter de les stigmatiser plus qu’ils ne l’étaient déjà. Ce que j’essayais de faire avec eux, c’était de les faire s’exprimer sur leur envie de vivre et, de quelle façon ils avaient envie de vivre. Vivre vite et intensément en goûtant à tout ? Vivre en apaisant avec des produits leurs vieilles blessures ? Et puis et puis, je me heurtais bien souvent à cette construction psychique inconsciente que l’on appelle le déni. Alors là que faire, mis à part tenir la main et accompagner celle ou celui que l’on voit foncer dans le mur et qui est si profondément blessé que l’envie de guérir, l’envie de vivre l’ont abandonné ? Que faire aussi avec ceux qui voulaient paraître « clean » devant le Docteur, ne pas lui faire de peine et qui répondaient évasivement à mes questions sur l’air du « tout va très bien Madame la Marquise » ? Ne touchez pas à mon intimité, cela ne vous regarde pas, je viens juste chercher mon produit de substitution... La seule chose qui m’importait était de ne pas délivrer des produits destinés à être revendus. Après s’être laissé avoir une ou deux fois, on apprend ce genre de choses, la relation de confiance fait le reste.


par Sylvie Cognard, Pratiques N°58, juillet 2012

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