Dr Alain Abrieu,
psychiatre de secteur, chef de pôle-secteur 13 Marseille
1984 n’est pas seulement le titre du livre d’anticipation (et non de science-fiction !) de Georges Orwell, ce fut également la fin de l’internat spécifique en psychiatrie. La simple visualisation de la pyramide des âges montrait la diminution drastique du nombre des psychiatres et permettait d’afficher dès cette époque le chiffre de 40 % de psychiatres en moins en 2020...
Mais il n’était pas question que de psychiatres formés, l’interrogation portait tout autant sur la place de la psychiatrie dans la médecine et plus largement dans la société.
Psychiatrie, une spécialité médicale... oui mais spéciale
La fin de l’internat spécifique assimilait la psychiatrie à une spécialité médicale.
L’objet de la psychiatrie ne se laisse pas appréhender facilement, et heureusement ! Il serait plus réaliste de parler de psychiatries, le pluriel rendant mieux compte de la pluralité des modes d’exercice.
Les internes de l’époque (vous aurez compris que j’en faisais partie) se sont opposés à cette réforme sur ce double aspect indissociable : combien de psychiatres pour quelle psychiatrie.
Ils soutenaient la notion d’une spécificité de la psychiatrie, certes branche de la médecine, mais avec ses particularités, refusant l’assimilation de la psychiatrie à une pathologie d’organe, évoquant une maladie de l’esprit, de la relation à l’autre plutôt qu’une maladie du cerveau. L’échec de leur mobilisation, assimilée à tort à des défenses corporatistes, a été le premier d’une longue série d’abandons de la spécificité de la psychiatrie : fin du diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatrique (1992), loi HPST...
Pendant ce temps-là, les professeurs en blouse blanche étaient satisfaits d’être enfin traités comme des pairs par leurs collègues universitaires et enseignaient dans leurs CHU aux internes la vraie psychiatrie : neurosciences, thérapie comportementale et cognitive, psychopharmacologie... évitant soigneusement la simple évocation des mots tabous que pouvaient représenter psychanalyse, phénoménologie, psychothérapie institutionnelle...
Le retour du refoulé : penser...
Une psychiatrie centrée sur la personne, son histoire, sa psychodynamique propre est bien plus complexe à cerner, à définir et bien sûr à quantifier...
en est ainsi de la relation humaine, prenons la complexité comme donnée de base et osons faire l’éloge de cette complexité.
Noël est passé, mais est-ce une lettre au Père Noël que de vouloir changer de logiciel et de passer de la folie quantitative au retour de l’humain dans la relation à l’autre ? Ne devrait-on pas remplacer « le patient au centre du dispositif » par « la rencontre avec le patient au centre du dispositif » ?
Cette rencontre rendant possible engagement, inventivité, créativité par cette ouverture à l’autre... rompant totalement avec l’évolution actuelle dont le but est d’adapter l’individu aux normes sociales, assimilant déviance et maladie mentale, transformant la psychiatrie en un dispositif de contrôle social et de normalisation.
Oui, il y a urgence à sortir de l’urgence, et de l’apathie qui nous gagne par l’envahissement d’une plainte infinie tenant lieu de discours et particulièrement mortifère.
Du désert au désir
Peuplons les déserts de la pensée et les déserts médicaux seront moins vides !
Il y a eu les États généraux de la psychiatrie en 2003, de nombreux collectifs se sont créés après le discours d’Antony en 2008, des initiatives sont en projet... investissons ces lieux et redevenons désirants, la dépression des soignants est pathogène pour les patients.
Des psychiatres soignant un cerveau malade, acteurs de la médicalisation des émotions, instruments de la normalisation de la société, soutiens pseudo-scientifiques des dérives sécuritaires, du retour au renfermement, des techniques de contention et acteurs des stratégies de neutralisation des malades mentaux : il y en a trop.
Des psychiatres humanistes, cliniciens, psychothérapeutes, soucieux de la personne et de son environnement, œuvrant pour l’intégration des malades mentaux dans la cité, ouverts aux familles, aux partenariats, conscients de la dimension humaine de la folie : il en manque.
Marbre
Que la dispute professionnelle soit
La dispute professionnelle, au sens d’Yves Clot, le débat d’idées sont vitaux.
Il est encore temps de se disputer mais faisons-le ! À ne jamais vouloir commencer, ça ne finira jamais ! Si, faute de combattants...
Utopie ?