Une révolution, vraiment…

Si les médecins participaient à l’éducation à la santé de la population, ils auraient peut-être moins de consultations individuelles et seraient davantage conscients des réalités des familles.

Anne Perraut Soliveres,
cadre supérieur infirmier, praticien- chercheure

Luc est médecin de campagne en Aveyron. Il s’est installé dans une maison de santé avec trois autres médecins et autant d’infirmières dans le cadre du plan « ensemencer le désert » décrété par le gouvernement afin de tenter de réduire les difficultés d’accès aux soins de plus en plus fréquentes dans certaines régions. Il est un peu fébrile en prenant son véhicule de fonction, ce matin, il inaugure le cycle « interventions santé à l’école », en binôme avec Mireille, l’infirmière scolaire. Après le vote d’une mission de santé publique répondant aux revendications de parents soucieux d’une meilleure éducation à la santé de leurs enfants, quatre-vingts pour cent des soignants du département se sont portés volontaires pour y consacrer trois heures par mois sur leur temps de travail. Ils ont été planifiés sur tout le territoire afin d’expérimenter le volet jeunesse du programme expérimental « Mieux vivre avec son corps » destiné à aider les citoyens à se réapproprier, par la confrontation de leurs expériences, les notions élémentaires du « vivre en bonne santé ».
Après un premier cycle de sept rencontres mémorables sur « Travailler sans se détruire » dans différentes entreprises publiques et privées de la région, Luc s’est aperçu que son regard de médecin changeait et qu’il commençait à mieux saisir les bénéfices attendus et même non attendus (en particulier les siens propres) dans ces collectifs de personnes s’intéressant à la santé en dehors de la consultation individuelle au cabinet. Il est confronté à une situation inédite, puisqu’il ne se sent guère mieux armé que ses interlocuteurs sur les questions de santé, lui qui a surtout été formé à détecter et soigner les maladies. Lors de sa première intervention à la fabrique de jouets, il ignorait tout des réalités du travail dans une usine, mais il a vite été conquis par les récits des femmes qui y avaient déjà beaucoup réfléchi et avançaient des propositions d’amélioration de leurs conditions de travail très inventives. La diversification de ses missions de médecin ainsi que l’organisation collective de la maison de santé allège considérablement ses semaines, au point qu’il a pu reprendre son entraînement de rugby qu’il avait arrêté dès la première année de médecine. Depuis début 2014, le salariat des soignants a été décrété expérimentalement dans plusieurs départements tests, désertés du temps de la médecine exclusivement libérale.
Ce trimestre, il a hérité d’une classe de maternelle à Séverac le Château dans laquelle est prévue une intervention de trois heures par mois.
Après une entrée très remarquée, il s’assied à la table ronde où il a un peu de peine à caser ses longues jambes. C’est avec un enthousiasme très juvénile et une humilité qu’il n’avait encore jamais éprouvée qu’il entame le premier thème : « A quoi ça sert de dormir ? ». Les doigts levés, la variété des témoignages exprimés par les petits ne laissent aucun blanc et la maîtresse n’a pas besoin d’intervenir pour que la parole circule. Luc se surprend à raconter ses propres difficultés à s’endormir lorsqu’on le couchait alors qu’il n’avait pas envie d’aller au lit. Les trois heures de débat passent sans qu’il s’en aperçoive et il se retrouve en chemin vers son cabinet pour sa réunion hebdomadaire avec ses collègues. Cet après-midi, il consulte.
Décidément, sa vie a bien changé depuis la révolution des temps médicaux, même s’il reste encore de nombreux champs à défricher et encore davantage de collègues à convaincre. Luc reconnaît que, s’il craint toujours de se trouver dépassé par les attentes du public, il se sent curieusement de plus en plus serein dans ce qui constitue pour lui l’essentiel de son métier : soigner. Après-demain, il doit aller au ministère présenter, avec plusieurs représentants du SMG, le programme de refondation des études afin d‘en finir avec la sélection inique et contre productive qu’ils ont connue. La réduction à cinq ans du temps des études médicales sera d’abord expérimentale et les spécialisations ne deviendront accessibles qu’après cinq ans de pratique de la Médecine générale. Le rétablissement d’une rémunération conventionnelle, identique pour tous les praticiens, devrait faire cesser les discriminations entre les différents services médicaux. Une révolution, vraiment...


par Anne Perraut Soliveres, Pratiques N°60, février 2013

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