Pas de désert en Aveyron

Adapter l’offre de soins de premier recours aux besoins de santé des patients en milieu rural fragile.

Philippe Nekrouf
Médecin généraliste, maître de stage universitaire, porteur du projet « Réseau de Santé de Proximité en Nord Aveyron » (RSPNA)

Cela se passe dans le Nord Aveyron
Dans les quatre cantons de la Viadène et de l’Aubrac aveyronnais, une cinquantaine de professionnels de santé se sont réunis pour constituer le Réseau de Santé de Proximité en Nord Aveyron (RSPNA), autour de trois Maisons de Santé et un Pôle de Santé.
Ce projet de santé est né de la réflexion commune des professionnels de santé des cantons de Laguiole, Saint-Chély d’Aubrac, Sainte-Geneviève sur Argence et Saint-Amans des Côts, inquiets du maintien de l’offre de soins en milieu rural éloigné des hôpitaux et à risque de désertification. Sur le principe d’une prise en charge globale, coordonnée et centrée sur le patient, le RSPNA vise à répondre aux besoins de santé de la population du Nord Aveyron en organisant l’accès simplifié aux soins de premier recours, la coordination pluriprofessionnelle des soins, la prévention, l’éducation à la santé, la continuité des soins et la réponse aux urgences. Il propose des lieux de formation et de recherche en soins primaires dans un cadre ambulatoire, tout en améliorant les conditions d’exercice des professionnels de santé du Nord Aveyron. Il s’appuie sur un projet de soins et un projet professionnel, dont la mise en place et le suivi sont décidés par les professionnels eux-mêmes. Il est soutenu par l’Agence Régionale de Santé Midi-Pyrénées (ARS), le Conseil Régional Midi-Pyrénées, le Conseil Général de l’Aveyron, la MSA, la CPAM de l’Aveyron et l’ensemble des élus locaux du Nord Aveyron.

L’histoire commence en 2005
Deux des trois médecins généralistes exerçant dans la commune de Laguiole cessaient successivement leur activité, avec de grandes difficultés à trouver et garder des successeurs. La population et les professionnels de santé ont alors pris brutalement conscience des risques de désertification médicale dans leur territoire. Une solution transitoire a fonctionné, entre 2006 et 2008, avec un cabinet secondaire monté par le médecin de Saint-Chély d’Aubrac et animé par des médecins à temps partiel (dont le porteur du projet). En décembre 2007, deux médecins (l’une connaissant bien le Nord-Aveyron pour y avoir travaillé douze ans) motivés par l’exercice en milieu rural et par l’idée originale d’un réseau de maisons de santé, réunissent les médecins des quatre cantons, pour réfléchir à une réponse collective à la fragilisation de l’offre de soins. Se réunissant tous les mois, ils ont associé peu à peu autour d’eux d’autres acteurs de santé de premier recours (infirmières, kinésithérapeutes puis sage-femme, pharmaciens, dentistes) et d’autres professionnels (orthophoniste, pédicurepodologue, CMP), avec qui ils constituent le RSPNA. Un premier projet, présenté fin 2008, obtient le soutien de l’ensemble des élus locaux du territoire. Durant 2009, un groupe de pilotage paritaire (professionnels et élus) se réunit régulièrement avec le soutien du Conseil Général de l’Aveyron, puis de la MSA à partir de 2010, et obtient une aide technique et une formation-accompagnement. En 2010, le RSPNA devient terrain de stage pour les internes en médecine générale. Le 18 janvier 2011, après trois années de réflexion, de difficultés et de doutes, le projet de santé est « labellisé » par l’Agence Régionale de Santé (ARS)Midi-Pyrénées. Les quarante-cinq professionnels de santé impliqués créent l’APC-RSPNA (Association de Préfiguration pour la Création du Réseau de Santé de Proximité en Nord-Aveyron).

Un vaste territoire rural, une population âgée
Le RSPNA couvre un territoire de 678 km2 (une fois et demie la superficie de l’Andorre) en moyenne montagne — les deux tiers du pays sont à plus de 800 m d’altitude. L’habitat dispersé, les distances à parcourir et le relief créent des temps de transport (hors routes enneigées) de vingt-cinq minutes pour une intervention depuis les chefs-lieux jusqu’aux limites de chacun des quatre cantons. Le SAMU ou les urgences hospitalières sont en moyenne à une heure de route !
La population de 7 714 habitants est parmi les plus âgées de la région avec 37 % de plus de 60 ans (Aveyron 30 %, Midi-Pyrénées 24 %), et 17 % de plus de 75 ans (Aveyron 13 %, Midi-Pyrénées 10 %). 20 % de la population du territoire est en Affection Longue Durée (17 % en Aveyron, 12 % en Midi-Pyrénées) et 393 habitants avaient l’Allocation Personnalisée d’Autonomie en 2009, soit trois cents bénéficiaires pour mille habitants de plus de 75 ans (250 ‰ en Aveyron et Midi-Pyrénées).
Une grande partie de la population travaille dans le secteur agroalimentaire (agriculteurs exploitants pour 30 % de la population active, et nombreux retraités toujours en activité dans leur exploitation). Les exploitants et ouvriers agricoles sont exposés à des risques spécifiques : blessures par utilisation d’outils ou par les animaux du cheptel, zoonoses, risques phytosanitaires, exposition aux intempéries climatiques, stress. Plus de quatre cents personnes sont salariées dans des entreprises « à risques » (Abattoirs de Sainte-Geneviève, Forge de Laguiole, barrages EDF sur la Truyère...). En raison du tourisme, la population des quatre cantons est multipliée par trois pendant l’été, à effectif constant des professionnels de santé. Il existe un tourisme familial l’hiver dans les stations de sports d’hiver de Laguiole, Aubrac et Brameloup.

Les professionnels de santé du réseau
Le projet a permis de recruter trois médecins généralistes (MG). Nous en recherchons un quatrième ! Il y a : neuf MG (sept hommes et deux femmes), d’âge moyen 57 ans (à l’image du vieillissement démographique du territoire), soit un MG temps plein pour 965 habitants ; onze infirmières libérales et deux CSI (centres de soins infirmiers associatifs), avec quatorze infirmières salariées et quatre aides-soignantes, soit une infirmière pour 550 habitants ; six kinésithérapeutes, un pour 1 250 habitants ; deux chirurgiensdentistes ; un psychiatre (permanence hebdomadaire du CMP Espalion au CSI Laguiole) ; une sage-femme libérale ; deux orthophonistes ; deux podologues ; cinq pharmacies (et trois ratons laveurs...). Il n’y a, dans les quatre cantons, aucun autre médecin spécialiste, ni orthoptiste, ni diététicienne. Les laboratoires d’analyses biomédicales sont à Espalion, entre 20 et 50 km selon le chef-lieu de canton. Pour l’imagerie médicale (radiographies, échographies...), il faut aller à Rodez, à 50-80 km, ou à Aurillac ou Saint-Flour, à 50-60 km.

Répondre aux besoins de la population
Le projet est basé sur l’analyse des besoins de santé de la population du territoire (éloignement des urgences hospitalières, population âgée, pathologies chroniques, PMI en difficulté...), avec quatre axes :
— l’organisation coordonnée des soins de premier recours avec la continuité des soins (accès aux soins, urgences, coordination interne, prise en charge pluriprofessionnelle des maladies chroniques, des personnes âgées fragiles ou dépendantes, des femmes enceintes et des enfants, protocoles de soins validés par les professionnels) ;
— la coopération avec les réseaux de soins de deuxième et troisième recours (maisons de retraite, spécialistes, hôpitaux : Espalion, Rodez, Toulouse...) et de soutien à domicile (ADMR, Familles Rurales...) ;
— la prévention et la promotion de la santé individuelle et communautaire (dépistage, éducation à la santé, prévention des risques...) ;
— l’observation épidémiologique et la veille sanitaire (adaptation aux besoins de santé).

Un travail collectif
Dès le début, la nécessité de travailler à une dynamique de coordination sans lien de subordination, notamment entre infirmières et médecins, s’est imposée... Ne serait-ce que pour effacer les craintes de reproduire un schéma hiérarchique « hospitalier ». Travailler autrement permet de partager les tâches, de reconnaître les compétences et les limites des rôles de chacun, en oubliant nos représentations sur les autres professions, pour réfléchir ensemble à améliorer nos pratiques. Un groupe de réflexion s’est constitué pour la prise en charge coordonnée des patients diabétiques, aboutissant à la mise en place d’un dossier de prise en charge, propriété du patient, avec des informations lui permettant de se prendre en charge et une fiche de coordination pour l’équipe (médecins, infirmières, pharmaciennes, pédicurespodologues, kinésithérapeutes, sage-femme, laboratoire d’analyses).

Les pistes pour l’avenir...
La mise en place d’un tel projet nécessite un soutien constant des différents acteurs de santé, à commencer par l’ARS qui devrait fournir une aide technique plus étroite (appuis juridiques, réflexion sur le système d’information, financement d’un cadre de santé coordonnateur). Elle implique aussi d’associer les patients et les associations d’usagers de santé au projet et à son évaluation. L’association gestionnaire du réseau prévoit d’associer les élus et les usagers de santé aux autres professionnels et acteurs de santé. Nous pourrons ainsi travailler à la promotion des comportements favorables à la santé, à la prévention de la perte d’autonomie chez la personne âgée, à des campagnes d’information thématiques (avec supports en salles d’attente, pharmacies, écoles, maisons de retraite...) en lien avec les patients. Cette façon de travailler nécessite de nouveaux modes de financement, différents du paiement à l’acte, pour la coordination, la prévention et l’éducation à la santé, la coopération et les nouvelles répartitions des tâches, les formations pluriprofessionnelles...
Avec ce projet, nous expérimentons une autre façon de prendre en charge la santé de notre population, en lien avec elle et selon ses besoins, en préservant l’unité géographique, sociale et culturelle de notre territoire et en donnant aux professionnels de santé les moyens et l’envie de mieux travailler ensemble.


par Philippe Nekrouf, Pratiques N°60, février 2013

Documents joints

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