Frédéric Pierru, Chercheur en sciences sociales et politiques au CNRS
« La compréhension des déterminants de l’hésitation vaccinale au sein des professions du champ sanitaire et social ne peut faire abstraction du contexte social dans lequel ces professionnels évoluent, de la perception d’une dégradation des conditions de travail, de leurs représentations sur leur place au sein du système de soins et de la manière dont ils perçoivent et dont sont perçues leurs missions ou bien leur position hiérarchique. Le refus d’une obligation vaccinale peut ainsi devenir le lieu d’expression de tensions sociales ou structurelles au sein du système de santé » [1]
« Cette expérience a marqué ma vie et m’a radicalisée. J’ai relu pendant cette période, 1984 de Orwell et La servitude volontaire de la Boétie. J’ai lu le témoignage quotidien du secrétaire particulier de Jean Moulin, Daniel Cordier. J’ai compris que l’humain est une espèce peureuse et soumise. Ne pas rentrer dans le rang est passible d’exclusion. On le paie cher. Certains le paient de leur vie. » (une infirmière)
Lorsqu’est annoncé le vaccin révolutionnaire contre la Covid-19, maladie qui a mis à l’arrêt toute l’économie et la société, aboli les libertés publiques, embastillé la population, en dehors des « premiers de corvée », mis à l’arrêt l’économie quitte à creuser la dette publique au nom du « quoi qu’il en coûte » – dette que les futurs retraités modestes, les chômeurs et les Rsastes ont commencé à rembourser, les bourgeois étant épargnés encore une fois –, l’optimisme macroniste est de rigueur. Le président est un « disrupteur », il est technosolutionniste, c’est-à-dire technocapitaliste : la Science a une nouvelle fois frappé de ses bienfaits et de son génie. Avec le vaccin, nous allions sortir du cauchemar de ces deux années Covid. Le vaccin, c’est la « magic bullet ». Aucune distance par rapport au discours marketing de Pfizer et de Moderna. Peu importe que des scientifiques disaient que, après des années de recherche, les vaccins, à ARN messager ou autre, ont échoué face au coronavirus. Quand on veut on peut, surtout quand on est aux abois. On le sait, Big Pharma se distingue par sa philanthropie. Son unique objectif : sauver l’humanité. Nous permettre de reprendre une vie normale.
SI nos élites étaient enthousiastes, l’homme ordinaire était plus dubitatif. Plus de 50 % des Français étaient réticents à ce nouveau vaccin en décembre 2020. Que voulez-vous ? Des incultes, des complotistes, des ignares avec lesquels doivent faire nos élites éclairées. Les scandales sanitaires des trente dernières années ? Des dysfonctionnements regrettables. Nos élites médicales, briefées par le gouvernement nous l’ont affirmé : tout ça, c’est du passé. Ce n’est pas ce que montre le site Euros for docs, où certains des ayatollahs de la vaccination ont palpé bien plus de 130 000 euros de la part de l’industrie, notamment au moment de l’affaire du Lévothyrox®, qui, selon nos éminents endocrinologues, n’était qu’un « effet nocebo », même si Merck a été condamné en première instance pour tromperie.
La campagne de vaccination démarre. Déjà dans l’opacité totale. Car Mme Von der Leyen, présidente de la commission européenne, qui n’a que le mot de « transparence » à la bouche, négocie de gré à gré avec les multinationales américaines (doit-on préciser que Mme Von der Leyen, déjà expulsée de son ministère de la défense allemand pour des contrats opaques avec McKinsey, vise le poste de dirigeante de l’OTAN), avec des contrats caviardés, accessibles aux parlementaires dans un coffre-fort, avec portables laissés à l’entrée. Même le New-York Times ou la Cour des comptes européenne s’en sont émus et ont porté l’affaire en justice. Qu’on se le dise, on peut négocier des milliards avec Albert Bourla par SMS, malencontreusement effacés. Même la personne la mieux disposée aurait été saisie de l’ombre d’un doute.
Revenons à la France. « Tous vaccinés, tous protégés ». Génial. L’auteur de ces lignes ne s’est pas posé de question : deux doses dans un vaccinodrome à Brest. C’est bon ! Je suis sauvé ! Il faut dire que j’avais fait le méchant Alpha, choppé chez le président de l’AP-HP, chez qui je résidais. Sa compagne et lui ont eu la neutralisation du goût et de l’odorat. Pas de bol. Mais c’est la vie.
J’ai vécu, dans mon petit port breton, la paranoïa entretenue par le directeur général de la santé, égrenant chaque soir le nombre de morts, avec ce mantra : « le virus circule toujours ».
Précisons immédiatement : toutes les mesures (confinement généralisé et massif, masque à l’extérieur, fermeture des écoles) n’étaient absolument pas evidence based. Mieux : un article du New England journal of medicine en 2019 concluait que le confinement était la mesure à éviter au maximum. Le grand gréco-américain John Ioannidis, sommité mondiale, a fustigé la panique qui s’est emparée des élites au point de les conduire à prendre des mesures contre-productives. Pourquoi la panique des élites ? Cela tient en un mot : l’incurie. Depuis le début des années 2000, les réseaux mondiaux de la santé publique alertaient sur la survenue d’une pandémie mondiale et qu’il convenait de préparer les sociétés à la « résilience », bref à se préparer (preparedness). Alors, les gouvernements ont fait ce qu’ils font de mieux : produire de la paperasserie. Ils ont fabriqué une digue Maginot en papier. On était prêts…
Sauf qu’après le Krach financier de 2008, il a fallu éponger la dette des banques. Qu’est-ce qu’on a fait ? Bercy a raboté toutes les dépenses qu’il jugeait « inutiles ». Dans l’esprit de Bercy, les dépenses inutiles ce sont les dépenses à long terme. Bercy, c’est la rave des marchés financiers : l’oreille plaquée sur les enceintes de la musique techno, ils prennent leur pied.
Alors, vous pensez bien, les stocks stratégiques de masques, de surblouses, les lits de réa, on s’en fout ! Donc on laisse tout ça pourrir sur pied, et on se défausse sur les « employeurs », dont les hôpitaux. Des hôpitaux déjà exsangues, incapables d’investir pour moderniser leur plateau technique. Des hôpitaux qui assistent à la dégradation des conditions de travail de leurs personnels dont le pouvoir d’achat plonge (ça n’arrivera pas aux membres des grands corps).
Pas de bol. Ce qui était annoncé par les Centers for Disease Control (CDC) depuis le début des années 2000 arrive. Au début, on est dans le déni. La ministre de la Santé tire la sonnette d’alarme, mais le président et le Premier ministre n’ont qu’un objectif : démolir le système de retraite pour complaire à BlackRock, reçu peu avant en grande pompe. Ses alertes restent lettre morte. « Vivez normalement, allez au cinoche, allez au théâtre ! » dit-il en février. Mieux « Allez voter ! ».
Et puis, revirement brutal. De l’insouciance on passe en guerre. Les Français médusés attendront longtemps les raisons de ce brusque revirement. Le Prince décrète. Il s’affuble d’un comité scientifique dont les membres sont des affidés, dont des renégats du PS. Gouverner c’est prévoir ? Allons bon… Est-ce que le Prince-Président doit se justifier ? Mais que cela serait bas ! Et tout cela n’est qu’une longue série de revirements… de volte-faces que les Français, incrédules, de plus en plus suspicieux, vont se voir infliger.
Nous voici confinés, avec des auto-déclarations aussi hilarantes que scandaleuses. Une fois. Deux mois. Une autorisation de promenade en été. Puis nouveau confinement et couvre-feu. Je ne peux m’empêcher de penser que le président y a pris un plaisir pervers.
Et puis, gloire à la Science, le vaccin. Tous les économistes stipendiés par l’industrie célèbrent le tour de force d’avoir mis au point dans des temps records la panacée qui va nous permettre de reprendre une vie normale. Alléluia !
Début poussif, Mauricette sera la seule vaccinée. Dommage, car le ministre de la Santé est épaulé par McKinsey, cette multinationale aussi cupide que délinquante. Le président s’énerve. C’est qu’on se tire la bourre entre pays. Les Jeux Olympiques de la vaccination. Les Français rechignent un peu, mais le taux de vaccination monte alors que 50 % des Français étaient très réticents. On est « Gaulois réfractaires » ou pas. Les soignants ne font pas exception. Ça regimbe dans les services. Ça discute.
Le Président s’énerve toujours plus. Le peuple français n’est pas digne de son génie et de sa concussion. Au début de l’année, il n’était pas question d’obligation et de passe vaccinal. Mais nouvelle volte-face : le 12 juillet le président de la République déclare que désormais, il faut « emmerder » les non-vaccinés. Instauration du passe sanitaire ; obligation vaccinale pour les personnels des établissements de santé, médico-sociaux et des personnes de la sécurité civile.
Du point de vue des concernés : le choc, la sidération. Comment un tel revirement est-il possible ? Elles et eux qui ont été en première ligne en 2020, avec des sacs poubelles en guise de blouses, des masques en nombre insuffisant que l’on faisait sécher sur les poignées de portes, eux qui respectaient strictement les gestes barrières ? Eux qui étaient applaudis tous les soirs ? Eux qui, au seuil de leur domicile, se déshabillaient entièrement, allant directement à la douche avant de retrouver leur famille ? Eux qui ont renoncé à une vie familiale normale, avec les carences affectives afférentes ? Eux qui ont dû faire avec des tensions familiales ?
Non, désormais, ils et elles étaient des parias.
Et ce n’est pas tout : l’oukase macroniste a non seulement mis à mal les collectifs de travail, mais aussi mis sous tension les liens familiaux : la plupart ont pu compter sur leur conjoint, mais pas toutes. Des divorces. Des séparations. Des fâcheries avec des amis. Avec des pères, des mères, des frères, des sœurs, des belles-familles.
« Les raisons qui m’ont poussée à refuser la vaccination sont multiples : d’abord, c’est le principe de précaution, celui de la balance bénéfice risque. Ensuite, c’est la défiance que j’éprouve à l’égard de politiques dont la préoccupation n’est pas le bien-être des citoyens, c’est également la défiance que j’éprouve à l’égard des laboratoires pharmaceutiques qui ont été sanctionnés par la justice à maintes reprises pour avoir vendu des produits (vaccins ou médicaments) dangereux pour la santé voire mortels. Les protocoles habituels n’étaient pas suivis. Enfin, enfant, j’ai fait une grave réaction au vaccin de la variole et ai failli mourir » (infirmière)
« Cette expérience a créé une cassure dans ma vie aussi bien professionnelle que personnelle. J’ai vu des hommes et des femmes en grande souffrance, meurtris, des gens qui s’étaient toujours consacrés à leur profession, aux autres, au soin et qui se retrouvaient sans rien. Face à des médias, (presque tous) aux bottes du gouvernement, face à des gens qui ne pensaient plus raisonnablement, un gouvernement répressif et autoritaire, une population soumise, indifférente voire hostile. N’oublions pas qu’avant le passe sanitaire, les français rechignaient à se faire vacciner. » (infirmière)
Le plus fou dans cette histoire est que dès juillet 2021, nombre d’études internationales ont montré que les « vaccins » n’avaient que des effets limités, en particulier en termes d’infection et de transmission.
Dès 2022, alors qu’Omicron devient majoritaire, il n’y a plus aucun doute. Le vaccin est une ligne Maginot. Le plus cocasse est que l’on rappelle au travail des covidés vaccinés. La vaccination est devenue un rite d’institution qui sépare les bons soignants, vaccins et éthiques, et les parias, les souillés. On peut compter sur les mandarins pour jouer les garde-frontières. Des mandarins qui, âgés, rationalisent leur propre peur en fabriquant leurs bouc-émissaires. Avec ce sale racisme de classe à l’égard des paramédicaux : « Comment, ils ne nous obéissent pas, ces gueux, pour qui se prennent-ils ? ». Des mandarins qui ne connaissent rien à la vaccinologie, qui n’ont lu aucune étude scientifique sur le sujet, qui se moquent de l’incertitude de la science, mais dont le seul viatique est le légitimisme et le macronisme, honteux ou pas.
Venons-en aux conséquences pratiques : ces ayatollahs ont détruit des vies, et ils les ont détruites sans base scientifique. Des couples brisés, des familles explosées, des gens qui ont perdu leur maison, ont dormi dans leur voiture… Dans le meilleur des cas, ils se sont mis en retraite anticipée, en arrêt-maladie, ont demandé des ruptures conventionnelles, ont démissionné.
Nos inquisiteurs se rassurent avec des chiffres microscopiques de 0.3 % de soignants suspendus. L’imbécile se contente de peu. 0.3 %, c’est le dernier carré de résistance de tous ceux qui se sont barrés sous une forme ou une autre.
Des aides-soignantes ou des infirmières ont fini à l’usine. Un médecin en soins palliatifs a fini manutentionnaire. Un autre s’est reconverti dans l’artisanat du bois.
Ces gardiens de la Science et de l’Ethique sont duplices : quand c’est pour ostraciser des soignants hésitants vaccinaux, ils emploient les majuscules, mais lorsque les données de la science, avec un s minuscule, contrarient leurs oukases, croyez-vous que cela les fait changer d’avis ? Que nenni. Quand la HAS dans son avis de mai 2023 dit qu’il faut que le vaccin Covid-19 passe de l’obligation à la recommandation, sur la base de méta-analyses, cela ne les fait pas changer d’idées, car ce sont des croyants.
François Braun peut dire : « Si ça ne tenait qu’à moi, je ne les réintégrerais pas, mais la loi m’impose de suivre l’avis de la HAS ». Et l’Académie de médecine lui emboîte le pas, comme tous les Ordres aux ordres : « Une victoire non, c’est suivre les recommandations scientifiques, c’est ce que le gouvernement fait depuis le début de cette crise », a-t-il défendu. « D’ailleurs les recommandations ont aussi amené à imposer cette vaccination auprès des soignants. C’est une victoire pour personne, c’est une continuité de prise en charge, c’est le suivi de l’avis des scientifiques, la loi m’impose de prendre en charge cet avis. »
Ces personnes se réclament de la Science, mais en réalité, ils n’ont pour seul guide que le mépris de classe, la morgue des sachants.
Il se trouve des médecins honnêtes qui disent que le vaccin Covid est un « vaccin très particulier », qui ne limite que très peu la transmission et l’infection.
Or, il se trouve, que cela leur plaise ou non, que le Français lambda, vacciné dans les années soixante – quatre-vingt s’en tient à la définition du Petit Robert : « Préparation administrée pour stimuler le système immunitaire de manière à développer une immunité durable contre une maladie. »
Désormais, on a l’impression que l’on assiste à une « extension du domaine du vaccin ». De préventif et d’immunité durable, on passe au vaccin « immunothérapique », qui n’a rien de préventif ni durable.
On ne sait plus de quoi on parle. Sauf que la politique vaccinale a pour objet la population, qui n’est pas une masse informe. Elle est structurée par des groupes sociaux et surtout un sens commun.
La campagne de la vaccination Covid a fait pire que mieux. Les gens ont bien vu que même avec trois doses, ils chopaient la Covid et qu’ils la transmettaient. Combien de fois ai-je entendu : « Mais ils se foutent de notre gueule ? ». Il ne faut pas oublier que les campagnes de vaccination viennent s’encastrer dans les rapports ordinaires à la politique, aux institutions, à la science… Les gens ne fonctionnent pas en silos. Leur vie est un bloc. Quand on leur dit que « l’économie est au plein emploi » et que leurs gosses sont au chômage et en emploi précaire, que voulez-vous qu’ils en déduisent ?
Luc Rouban, du CEVIPOF, a montré que chez les paramédicaux, les attitudes politiques se polarisaient entre les votes radicaux, LFI et le RN, les médecins votant massivement LREM.
La vaccination est prise dans cette tectonique des plaques sociopolitiques. Et ce ne sont pas les leçons de morale de nos médecins bourgeois qui y changeront quoi que ce soit.
« Le manque de moyens des institutions, les ressources humaines limitées, la surcharge de travail, l’encouragement au présentéisme (travailler malgré la maladie) pour préserver la capacité productive des équipes, sont autant d’éléments qui ont des conséquences néfastes sur la santé des professionnels travaillant en milieu de soins, ainsi que sur les soins prodigués aux patients. » [2]
Cette campagne vaccinale n’aura fait qu’approfondir l’abîme entre les gens ordinaires, pour parler comme Orwell, et les « élites » dont la haine de la démocratie apparaît sans fard.
Laissons le dernier mot au Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) : « L’exigence d’exemplarité, à laquelle il a largement été fait appel pour légitimer l’obligation vaccinale des professions de santé, doit être conçue réciproquement : les autorités politiques et sanitaires se doivent d’être exemplaires dans la manière dont elles décident, justifient et mettent en place des politiques vaccinales, a fortiori quand il s’agit d’obligations vaccinales. » [3]
Oui, l’exemplarité, ce n’est pas à sens unique. L’exemplarité c’est une confiance réciproque.
On touche ici au cœur de la crise démocratique.