Une mort, pas deux

Martine Lalande,
Médecin généraliste


Nathalie est morte cette nuit. Christophe, le médecin hospitalier avec qui je travaille, me l’annonce à 9 heures au téléphone. Je m’y attendais, je l’ai vue hier soir, elle était au bout, mais calme. Kamal, son ami, arrive à 10 heures : Elle est morte à 2 heures, je suis rentré à pied (trois quarts d’heure), ce matin j’ai fait une bêtise, j’en ai repris. Il parle de l’héroïne. Désolée, mais pas de problème, j’ai du Narcan® [1], j’arrive. Le temps de finir avec la personne en consultation, la secrétaire m’appelle : Votre patient, il est gris. Je prépare la seringue de Narcan® pendant que deux patients dans la salle d’attente le prennent sous les aisselles et le forcent à marcher. Ils ont ouvert la fenêtre : Respire, il faut que tu respires, c’est comme ça qu’on sort de l’overdose. Une dame terrorisée les regarde. Je fais l’injection, il se réveille, immédiatement : Je rentre chez moi. Non, j’appelle les pompiers, il faut que vous alliez à l’hôpital. Je sais qu’il peut rechuter, il faut une deuxième injection, et le surveiller. Il accepte. À l’hôpital, il verra Christophe, en qui il a confiance, descendu le réconforter. Puis sa famille viendra le chercher. Ensuite, j’apprends que les deux patients qui sont intervenus sont l’un ancien usager de drogues, l’autre a vu un ami faire une overdose dans une soirée. Je connais bien la dame qui était là, elle a perdu un fils de la même chose…


par Martine Lalande, Pratiques N°58, juillet 2012


[1Narcan® = naloxone, antidote des morphiniques.


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