Travail du salarié, santé du capital

Deux morts par jour, et cela dure depuis des années. Où sont les experts au journal du vingt heures ? Où sont les préfets pour lister les délinquants ? Quel ministre vient pérorer avec un plan ? Quand Macron organise-t-il un grand débat ? Les morts au travail n’intéressent personne.

Michel Ancé, Union locale CGT de Nancy

« Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale » Maurice Barrès, député boulangiste de Nancy (1906-1921).

Ouvrier du livre en retraite, syndiqué à la CGT depuis 1979, j’ai milité sur les questions de santé dans le CHSCT des Nouvelles Messagerie de la Presse Parisienne et comme délégué du personnel dans une équipe de nuit pendant trente-deux ans. Dans mon équipe, chaque salarié devait manipuler entre 10 et 25 tonnes de papier par nuit. Ce tonnage paraît incroyable, mais nous n’en prenions vraiment conscience qu’en consultant les bordereaux d’expédition, sinon nous pensions que nous portions « beaucoup » de charges. Pour aborder le problème des lombalgies, il fallut réapprendre à connaître notre propre environnement de travail : un paquet de journaux pèse de 11 à 17 kg, une palette c’est de 800 kg à une tonne, un camion contient 15 à 20 tonnes de papier. Lors de notre enquête, un de mes collègues à qui je dévoilais ces données me dit : « T’es sûr de tes chiffres ? ».
Difficile aussi d’intervenir, de questionner sur la douleur dans un secteur exclusivement masculin, comme les mines, les ports ou les docks. Une fausse image de la masculinité remplit l’espace de discussion : « un mec n’a pas mal au dos ». Pourtant, les médecins du travail nous avaient donné des éléments statistiques inquiétants : 75 % des salariés souffraient de lombalgies. Il fallut un travail d’ampleur avec le CHSCT, requérir à un groupe d’étude d’ergonomes, de psychologues, pour suivre l’équipe de nuit, analyser les gestes, répertorier les ports répétitifs de charges et libérer la parole. Une nuit, après une séance de tri manuel de 250 paquets de 16 kg (4 tonnes), un ouvrier confia à une sociologue qui étudiait la séquence de travail qu’il avait du mal à prendre sa petite fille pour la porter à cause du boulot. Il s’est confié à quelqu’un de l’extérieur pour dire sa souffrance. Parce qu’on ne dit pas à un collègue qu’on a mal, sinon ça veut dire qu’on ne peut pas faire ce boulot, qui résume notre vie, porter des paquets lourds. Alors la souffrance est tue, elle n’existe plus, jusqu’au jour où le corps lâche.
La formation syndicale m’a appris à m’informer, refuser l’évidence, trouver des sources, les partager, convaincre les collègues que nous sommes experts de notre propre travail, de notre souffrance, et surtout qu’on a le droit de dire que l’on souffre.
J’ai refusé à longueur de réunion de CHSCT que les salariés soient envoyés, par la direction, dans des formations « gestes et postures », d’où ils revenaient, « posturés » dans le corps et l’esprit, culpabilisés. Un ergonome en stage a renforcé mon opinion, en me disant : « Si tu plies bien les genoux pour porter une charge, tes vertèbres seront intactes, tu auras juste les genoux niqués ». J’ai acquis la conviction que le travail doit être adapté à l’humain et pas l’inverse. L’inverse, c’est la délinquance autorisée, qui génère de 650 000 à 750 000 accidents du travail par an, avec leur lot d’infirmités, de morts.

803 morts au travail ! Que fait la police ?

Que les délinquants ne s’affolent pas ! Le chef de la Start Up Nation a une idée sur la question : « Moi j’adore pas le mot pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible » (E. Macron, le 3 octobre 2019). Si le président déclare la non-pénibilité au travail, n’allons pas blasphémer avec la mortalité. Avec la même suffisance teintée de paternalisme, A. Pannier-Runacher s’exprime ainsi le 7 octobre 2021 : « J’aime l’industrie car c’est l’un des rares endroits au XXIe siècle où on trouve encore de la magie. La magie du ballet des robots, du ballet des hommes. La magie de l’atelier où on ne distingue pas le cadre de l’ouvrier. »
Donc pas pénible, magique et tous égaux à l’atelier ! Malgré quarante ans comme manutentionnaire dans l’imprimerie et la distribution de la presse, je n’ai pas su voir ce monde merveilleux, dommage.
Les points de vue concernant les conditions de travail d’un associé-gérant de la banque Rothschild et d’une cadre supérieure de l’industrie automobile sont une jolie narration du monde du travail, un peu éloignée de la sordide réalité des chiffres.

Accidents mortels du travail, de quoi parle-t-on ?

1 200 morts au travail dénoncés par J.-L. Mélenchon, sur son blog, en octobre 2021. Ce chiffre impressionnant comprend les décès liés aux maladies professionnelles, les accidents mortels de trajet et les accidents mortels sur le lieu de travail. Les chiffres cités sont ceux du rapport annuel de l’Assurance maladie. Me Pradel, avocat spécialiste de la santé au travail, tempère, car les méthodes de procédure de reconnaissance et de comptage des accidents du travail (AT) en France sont plus strictes que dans d’autres pays. Toutefois, la France, avec sa propre méthode de comptage, inchangée, est passée de 537 AT mortels en 2010 à 803 en 2019. Soit 49,5 % d’augmentation.
Le Robert donne la définition d’un accident : « Évènement imprévu et soudain qui entraîne des dégâts, met en danger. » L’évènement est imprévu, mais les statistiques sont récurrentes, et les causes sont identifiables et prévisibles. Prenons un exemple.

Des chutes mortelles

L’Assurance maladie sur son site le 15 février 2023 précise qu’elle prend chaque année en charge 126 000 AT en lien avec une chute. En 2019, ce type d’AT occasionne 95 décès. Principalement dans le secteur du bâtiment et de la construction. Le ministère du Travail sur son site en octobre 2023 donne d’autres précisions. Les accidents de chute de hauteur sont majoritairement de trois natures :
-  Chute à travers un toit dont le matériau est fragile.
-  Chute dans le vide sur les extérieurs.
-  Chute dans un trou, d’une trémie ou d’une fenêtre ou encore dans un escalier.
Parmi les principales causes des chutes de hauteur, on relève :
-  L’absence de protections collectives (échafaudage, plateformes sans garde-corps etc.).
-  L’absence de protections individuelles (harnais antichute).
-  Un dispositif de protection défectueux ou mal utilisé (point d’ancrage non conforme).
Donc, ces quatre-vingt-quinze décès, troisième cause de mortalité des AT, auraient pu être en partie, voire en totalité évités par le respect des dispositions légales, des dispositifs de sécurité obligatoires, par le respect de la loi. La juste classification de la grande majorité de ces décès pourrait être « Chutes mortelles par non-respect de la loi ». Les délinquants courent toujours.

Plusieurs ouvrages sortis en 2023 éclairent un peu plus ce sordide tableau

Matthieu Lépine (l’Hécatombe invisible. Enquête sur les morts au travail, Le Seuil) passe en revue les causes de ces AT. dont 8,4 % concerne des jeunes de 15 à 24 ans. Ces soixante-quatre personnes (par an) ont été laissées le plus souvent seules, sans sécurité, sur un poste de travail sans recevoir d’information. Elles meurent souvent dans la première année, les premiers mois, voire les premiers jours du contrat de travail. Le bilan est hélas limpide, pas de formation, pas d’information, pas de sécurité ou inadaptée, personne pour intervenir ou appeler les secours. C’est par exemple un jeune apprenti de 17 ans, laissé seul sur une parcelle en forêt, une branche de chêne fragilisée par l’abattage d’un arbre voisin le percute, il n’y a personne. Son tuteur de stage le retrouvera mort plus tard.
Selon les années, entre 19 et 25 % des morts travaillaient dans le BTP, ouvriers, artisans sous-traitants, suivent les chauffeurs livreurs, puis les ouvriers agricoles et l’industrie. Le BTP cumule, à haute fréquence, accidents du travail, maladies professionnelles et accidents de trajet. Au total, c’est l’équivalent de 36 000 salariés chaque année qui ne peuvent plus travailler (AMELI.fr - chiffres clés BTP).
M. Lépine compte aussi les accidents de trajet et met en lumière leur cause sociale. 12 % des accidents de trajet mortels concernent des jeunes de 15 à 24 ans. 12 % en 2019, soit quatre-vingt-douze personnes, principalement des ouvriers, qui habitent loin de leur travail, qui ont de faibles revenus. Le trajet est souvent fait à des heures atypiques. Double peine, la narration de leur accident est souvent très lapidaire : « Drame de la route, un jeune se tue au volant ». Rarement il est fait état d’un accident de trajet, donc de travail. Plus les salariés sont éloignés d’un statut, d’un cadre protecteur, plus le risque encouru est grand, la sous-traitance, la précarité, alimentent l’hécatombe.
Au-delà de la dangerosité du métier, les causes de risques vont s’additionner : logement précaire ou/et dégradé (ne permettant pas le repos), très éloigné du travail (prolongeant la journée), salaire insuffisant pour se procurer un minimum décent ou un véhicule sûr, absence de collectif syndical pour prévenir, informer des risques, proposer des solutions de retrait, imposer des équipements de protection.

La pauvreté, la précarité et la sous-traitance pour renforcer l’hécatombe au travail

« 1,2 million de personnes exercent un emploi, mais disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté fixé à la moitié du niveau de vie médian (918 euros par mois pour une personne seule), selon les données 2019 de l’Insee. Si on fixe le seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian (1 102 euros par mois), on en compte 2,1 millions. La pauvreté des travailleurs se stabilise à un niveau élevé. Elle avait légèrement diminué au début des années 2000, avant de remonter pour atteindre 1,1 million de personnes en 2011 (toujours au seuil de pauvreté de 50 %). Après une nouvelle baisse au milieu des années 2010, cette pauvreté est repartie à la hausse pour atteindre un sommet en 2017. » (inégalité.fr)
Intérimaires, salariés flexibles, ils et elles étaient 232 000 en 1990, 550 000 en 2000, puis 831 300 en 2021. M. Lepine cite le cas d’EDF qui « délègue » le risque de l’entretien de ses centrales nucléaires à hauteur de 80 % à des entreprises sous-traitantes. Ces salariés sont les « nomades du nucléaire », ils font le tour de France des centrales. La CGT, au sein du CHSCT d’EDF, avait, lors d’une enquête, révélé que ces mêmes salariés précaires alternaient leur travail avec des missions dans des chantiers liés au désamiantage.
Il y a environ 70 000 travailleurs très précaires SDF, ou mal logés ou en surnombre dans des habitats indignes (fondation Abbé Pierre), des milliers de travailleurs sans papiers, peu ou pas couverts socialement, qui sont captifs de travaux précaires, dangereux et insalubres. Et bien sûr, il n’est pas possible de quantifier les non-déclarations d’AT.
Une autre jungle sans droit, les autoentrepreneurs : sur 2 229 000 entrepreneurs déclaré en 2021 (URSSAF), 1 287 000 déclarent un chiffre d’affaires (C.A.) positif. La moyenne des C.A. est de 4 800 € par trimestre, environ 1 250 € par mois, il faut retrancher le matériel professionnel, l’entretien, les abonnements téléphoniques et, si on peut, 22 % de cotisations sociales. À peu près un million ont un C.A. négatif. Quel que soit le C.A., il n’y a pratiquement pas de droits aux prestations sociales, les accidents du travail n’existent pas : lorsqu’un livreur Uber tombe en livrant une pizza, c’est un accident de la route.

Mourir de son travail aujourd’hui

En moyenne, en 2017, 11 % des salariés, soit 2,7 millions de personnes, sont exposés à au moins un produit chimique cancérogène. L’exposition à un seul produit chimique concerne 32 % de l’ensemble des salariés suivis par les médecins du travail et de prévention en France, soit 8 millions de salariés (DARES). Sur quatre-vingt-quatorze produits chimiques recensés, vingt-huit sont classés cancérogènes avérés ou probables par le Centre international de recherche sur le cancer et/ou par l’Union européenne.
Anne Marchand (Mourir de son travail aujourd’hui, Éditions de l’atelier, 2022) enquête au sein du « Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelles » (GISCOP 93) et étudie la toxicité mortelle du travail et de son environnement. L’héritage industriel et le travail contemporain hypothèquent la santé et la vie de millions de travailleurs. Elle cite un rapport récent qui fait état chaque année de 50 000 à 80 000 nouveaux cas de cancers liés à l’activité professionnelle, ou d’origine professionnelle. C’est une autre hécatombe qui représente une double peine pour les plus précaires : ces cancers se déclarent souvent longtemps après l’activité professionnelle, il faut alors prouver que votre maladie est d’origine professionnelle, alors que vous luttez contre la mort. Souvent, c’est à la famille d’assumer la fin du parcours pour tenter d’obtenir un dédommagement, au titre du défunt.
Le GISCOP 93 a accompagné plus de deux cents travailleurs et leur famille (Vie Ouvrière, dossier « Reprendre la main sur le travail ») pour reconstituer une carrière professionnelle, prouver les interactions insalubres et dangereuses, demander réparation. Ce livre fait état des inégalités, lorsque le travailleur immigré tombe malade une fois rentré au pays, lorsque l’intérimaire doit retrouver la totalité de ses contrats de travail, certains d’une journée, d’une semaine, pour demander réparation. L’espace social pour ranger ses papiers, ses fiches de payes, va de pair avec le niveau de salaire, avec le capital social qu’on a acquis ou pas.

Gauche et droite unies, main dans la main, pour ruiner le social

Comme si cela ne suffisait pas, Hollande, Macron ont rendu plus difficile la saisine aux prud’hommes, plafonné les indemnités, cessé d’organiser les élections qui permettaient aux salariés d’être élus aux conseils des prud’hommes. La loi travail, puis les ordonnances Macron, ont défait les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, amoindri les moyens d’expertise des élus. Les seuils permettant d’avoir des élus ont été remontés, ce qui prive la très grande majorité des entreprises d’institution représentative du personnel. La mise en place sans concertation des CSE (Comité social économique) réduit de moitié les élus du personnel et le temps nécessaire à leur mission.
La réforme des retraites va permettre de courir à 64 ans derrière un camion pour ramasser les poubelles. La loi immigration, que n’aurait pas reniée Pétain, permettra aux humains les plus désespérés de se faire concurrence. Et la loi sur l’enseignement professionnel donnera aux patrons la clé de l’école pour faire trimer la jeunesse. Enfin, baisser les conditions et le niveau des prestations chômage renforcera sûrement « l’attrait » des boulots les moins payés et les plus dangereux, parce qu’il faut bien survivre…
Cette frénésie de laminage des droits sociaux, des moyens de représentation sociale, vient de loin, gouvernements de gauche, de droite ont apporté leur pierre. Déjà en 2009, J.-F. Coppé (UMP) a présenté une mesure d’économie à l’Assemblée nationale à hauteur de 150 millions d’euros, en mettant fin à l’exonération fiscale des indemnités d’AT, les victimes sont priées d’alimenter le budget. En avril 2015 (merci Hollande), un décret supprime la demande d’autorisation à l’inspection du travail pour affecter des mineurs aux travaux dangereux pour la remplacer par une simple déclaration de l’employeur. Rappelons que 10 000 apprentis sont victimes d’accidents du travail chaque année.

La délinquance patronale récompensée, les victimes trinquent à la santé du profit

Un article du Monde du 13 mai 2022 cite un manifeste de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui analyse la tendance à la baisse des accidents du travail (AT) mortels en Europe, qui permettrait de situer leur fin. Pour la Pologne, c’est en 2027, l’Italie 2040, face au mot France, la case comporte le mot « JAMAIS ». C’est un fait, les AT mortels en France, à l’inverse du reste de l’Europe, sont en progression : 550 en 2020, 803 en 2023. Deux morts par jour ouvré dans la construction, un carnage chez les ouvriers jeunes. Le gouvernement macroniste pousse l’ignominie un peu plus loin par l’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui limite la portée de la faute inexcusable de l’employeur : une indemnisation réduite pour les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles et aucune pénalité financière supplémentaire pour les patrons délinquants. Une décision d’autant plus choquante et incompréhensible que la Cour de cassation sociale a rendu, le 20 janvier 2023, deux arrêts actant enfin l’obligation pour les employeurs responsables de manquements graves de payer une indemnisation en plus de la rente accordée par la Sécurité sociale (Alternatives Économiques n° 439, octobre 2023). Tous les ans, près de 650 000 personnes sont accidentées au travail et plus de 50 000 maladies professionnelles sont reconnues. Dans 3 000 cas, la faute inexcusable est obtenue en justice. Il s’agit souvent de pathologies sévères et de cancers professionnels, lourds de conséquences pour les salariés concernés.

Sarkozy, Hollande et Macron, même combat : il faut mater les gueux

Le tableau ne serait pas complet si nous ne faisions pas mention de la réduction des moyens et effectifs de l’inspection du travail. Les syndicats Sud et CGT dénoncent en effet une fonte de 20 % du nombre des inspecteurs.
Dans cette profession, la méthode forte est parfois employée. Ainsi, Anthony Smith, inspecteur à Reims, a été suspendu par M. Penicaud, parce qu’il avait fait un référé pour que les salariés d’une entreprise d’aide à la personne aient des masques durant la période Covid. E. Borne a maintenu la suspension, alors qu’il avait fait son travail (918 jours, le combat d’un inspecteur du travail, Éditions Arcanes 17). De même, Laura Pfeiffer, inspectrice a été sanctionnée par son ministère, alors qu’elle donnait suite à un courrier d’un salarié de TEFAL lanceur d’alerte, par la suite licencié. Depuis 2010, il manque 21 % de médecins du travail (Conseil de l’Ordre des médecins). Moins de médecins, moins d’inspecteurs mais plus de flics, ainsi le seul service public que rencontrent les salariés, c’est la police nationale. Depuis Sarkozy, la matraque vole bas, les éclopés deviennent légion, chaque loi infâme offre son lot de mains arrachées et d’éborgnés.
L’usine ne tue pas assez, il faut que la police en rajoute.
Cette violence sociale rappelle le décor des années Thatcher : « There is no alternative », il n’y a pas d’alternative. Il faudrait accepter, se taire. Du canon à eau que Mitterrand et Rocard envoyèrent sur les infirmières en octobre 1991, aux motards de la BRAV qui mutilent à longueur de manifestations, tout est fait pour rappeler à chacun de rester à sa place. Depuis trente ans, le monde politique légifère, décide pour le monde du travail et si nécessaire le réprime. Sans surprise, les élections législatives de 2022 n’ont désigné que huit ouvriers et vingt-six employés sur les cinq cent soixante-dix-sept députés, soit 6 % de l’ensemble, alors que ces catégories représentent 45 % de la population active (Institut des politiques publiques). À l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 70 % des élus, soit trois fois plus que leur part dans la population active (22 %). Ces mêmes députés et sénateurs nous somment de trouver du travail dans un monde qui en supprime, rognent les budgets de la Sécurité sociale, mais distribuent largement au patronat (CICE).

Il faut pourtant résister et se battre

C’est la notion de collectif qui est mise à mal, depuis des décennies, gouvernements/patronat traitent les revendications par le mépris. Le signal envoyé face aux besoins sociaux est : « vous pouvez manifester, on s’en tape ! » Le « dialogue social » tant prôné est une poudre aux yeux.
Redonner du sens au collectif ne peut passer que par une mise en perspective d’un bien commun accessible, pour la santé au travail, mais aussi pour l’accès à la santé, l’éducation, le logement, la culture. Le syndicalisme, seul, divisé, ne peut être comptable de la trahison politique qui nous a amenés aux prémices de la peste brune. La rupture politique avec le capitalisme est nécessaire pour remettre l’humain et les besoins sociaux au centre de nos réflexions.
Les rares moments porteurs de perspectives sociales dans l’histoire ont émergé de la mobilisation collective, ils sont imprévisibles. Mais nous savons que c’est possible, parce que nous l’avons fait. Il faut casser le discours des dominants, désobéir, et cela s’apprend. En 1895, lorsque les enfants travaillaient dans les mines et que l’armée matait à coup de sabre les revendications, Fernand Peloutier, anarchiste, un des fondateurs de la CGT, déclara : « Ce qui manque à l’ouvrier, c’est la science de son malheur »
Rien n’est plus vrai aujourd’hui.

par Michel Ancé, Pratiques N°105, juillet 2024

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