Quel esprit critique avec le BTS Diet ?

Léna Ferri et François Pot
Diététiciens diplômés d’état.

L’issue du BTS était évidente : devenir diététicien ! La voie était toute tracée. Mais c’est bien là le problème, et comme la plupart des étudiants du BTS, nous étions voués à porter nos œillères jusqu’à ce que...
La première école de diététique apparaît dans les années 50. Sur le site de l’AFDN (Association Française des Diététiciens et Nutritionnistes), on peut y lire que la formation initiale française a peu évolué en un demi-siècle. Effectivement, le programme du BTS créé en 1951 a été réactualisé une seule fois en 1987 et celui de l’option diététique des IUT, créées en 1966, a été réactualisé deux fois en 1998 et en 2005.
Cette profession, que nous avons choisie, touche au social et à la santé, et aider et accompagner des personnes malades ou simplement mal dans leur corps représentent souvent la motivation principale de notre profession. En deux ans de formation, le programme est très chargé. Ces études demandent des élèves très scolaires, capables de suivre les cours sans poser de questions. Après tout, il y a un programme à boucler et pas de temps à perdre ! Et lorsqu’un élève pose une question polémique en dehors des clous, il se voit généralement répondre que pour obtenir son diplôme, il doit se limiter au cours et que, pour le reste, il verra plus tard. Pendant deux ans, on nous apprend une seule façon de voir les choses.

Bien sûr, cela amène inéluctablement à une pensée uniformisée chez les nouveaux diplômés, pensée s’entretenant d’elle-même, puisque tous les diététiciens possèdent la même, telle une vérité irréfutable.
Il devient ainsi compliqué de remettre en cause sa formation...
Cependant, l’édifice peut se fissurer quand, par l’intermédiaire de différents facteurs (livres, revues, documentaires ou rencontres), on se rend compte que tout n’est pas aussi simple qu’on a bien voulu nous le laisser penser. Des contradictions apparaissent peu à peu, trop de contradictions... On se retrouve alors face à un dilemme, soit on décide de renoncer à démêler cet imbroglio et on se contente de ce qu’on a appris (après tout, notre formation est irréfutable, on nous l’a suffisamment laissé comprendre pendant deux ans !), soit on décide de progresser en ouvrant son esprit et en essayant de faire son chemin parmi les différentes informations à notre disposition.
On découvre alors les différentes influences qui entrent en jeu : lobbies de l’industrie agroalimentaire, collusion avec le monde politique qui pourrait expliquer le manque de volonté ou la mollesse décisionnelle sur certains sujets de santé publique comme l’obésité, les additifs, le bisphénol A ou les acides gras trans...
À partir de là, nous commençons à mettre en doute notre formation. En effet, nous n’avons jamais pris le temps, en cours, de traiter des sujets d’actualité liés à la diététique, qu’il s’agisse d’un sujet polémique ou non. Aucune lecture ne nous a été conseillée pour simplement découvrir d’autres points de vue... Les épreuves de l’examen final sont même notées par mots-clés d’une certaine manière, ce qui renforce certainement la sélection de ceux qui se seront limités aux cours. Pourquoi nous a-t-on fait apprendre cette vision si simplifiée des choses ? On se rend alors compte que nous avons évolué dans une bulle hermétique, infantilisante...
Nous tenons à préciser que nous ne dénigrons pas cette formation qui, malgré tout, a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui, mais il serait pour nous judicieux de la réactualiser, en encourageant une pédagogie critique qui sache replacer la diététique au sein des intérêts économiques et politiques qui la traversent, et permettre à ses étudiants d’être plus en mesure de les décrypter et de se positionner pour défendre l’intérêt des malades avant tout. Il nous semble également primordial, aujourd’hui où de nombreuses pathologies croissent rapidement en lien avec l’alimentation, que les diététiciens prennent véritablement leur place au sein du système de santé pour informer, tant au niveau des consommateurs que des politiques. Mais nous pensons cela inefficace si les diététiciens ne se reposent que paresseusement sur leurs acquis sans développer leur esprit critique.


par Léna Ferri, François Pot, Pratiques N°56, février 2012

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