Quand il y avait des centres de crise...

Martine Lalande,
Médecin généraliste

Mon amie Aline est perdue, elle débarque chez moi, croyant que des gens sont à ses trousses. Elle vit dans une ville de province avec sa fille, qu’elle a déposée chez son père, et elle pense qu’il y a un complot organisé contre elle. Je ne sais comment la rassurer, au contraire je me laisse gagner par son angoisse. On sort pour acheter des cigarettes, elle interprète le nom de la rue, qu’elle trouve démoniaque. Elle reste pour la nuit, mais elle ne dort pas. Elle déambule, puis entre dans ma chambre : « Tu crois que je vais mourir ? » Je lui dis évidemment que non, mais elle ne se calme pas. Bêtement, j’ai peur pour mon fils, tout petit, alors qu’elle n’est pas du tout agressive. Elle me demande si elle peut venir avec moi en vacances, j’ai honte mais je refuse, je n’en ai pas le courage. Au matin, j’appelle un ami généraliste installé à Paris. Il va la recevoir, il peut joindre un correspondant psychiatre. Je lui explique le trajet (elle connaît, elle a habité ce quartier-là) et je lui donne l’argent pour la consultation. Plus tard, de mon travail, je téléphone. Il l’a vue : « En effet, elle est en grande errance... » Son copain psychiatre va la faire prendre en charge dans un centre de crise. Je passe la voir deux jours plus tard. C’est un petit immeuble de deux étages dans une rue de Paris assez calme, en face d’un petit parc. Elle est sortie le matin faire son jogging, elle revient prendre une douche. Sa chambre est à l’étage, en bas il y a les pièces communes. On y mange ou on reste pour causer. Des infirmiers sont toujours là, sans blouse. On peut leur parler à toute heure si on a besoin. On lui donne un traitement, elle est d’accord pour le prendre, maintenant elle dort et elle a moins d’angoisses. Elle ne va pas rester très longtemps, mais il faudra qu’elle voie quelqu’un, ils cherchent un psychiatre pour elle dans sa ville. Par la suite, elle sera suivie, vivra d’autres épisodes difficiles, aura parfois besoin d’hospitalisation. Vingt ans après, elle va bien.


par Martine Lalande, Pratiques N°67, octobre 2014

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