Martine Lalande,
Médecin généraliste
Travail d’été après le concours de première année de médecine. Premier jour de travail comme agent hospitalier dans un service de médecine interne réputé. Il faut faire la toilette d’un homme qui est mort cette nuit. Quarante-cinq ans, apparemment dans la force de l’âge, il avait une leucémie. Il semble serein, mais le mur de la chambre est maculé de minuscules taches de sang, pulvérisées par sa respiration. Je reste debout contre le mur, les infirmières font tout, je ne comprends rien. En les écoutant parler, j’entends qu’il s’agit d’une erreur de dose de chimiothérapie, il aurait reçu dix fois la dose prévue, mes collègues s’inquiètent pour l’infirmière qui a injecté le produit. La journée se poursuit, je ne pense rien, ni que j’ai vu mon premier mort le premier jour de mon travail à l’hôpital, ni qu’il y a eu une erreur tragique ce jour-là dans ce service. Pétrifiée, je ne chercherai pas à savoir si l’infirmière a été sanctionnée, si l’équipe a assumé collectivement l’erreur, si la famille a su ce qu’il s’était passé. J’ai su seulement respecter le silence et la honte, préservée de la souffrance par le fait que je ne le connaissais pas, et que je n’y comprenais rien.