Lu : La cavale de Billy Micklehurst *

Présenté par Isabelle Canil

Une superbe nouvelle : un SDF, Billy Micklehurts, hante le Cimetière du Sud à Manchester, parce que les morts lui ont confié « une partie, petite mais précieuse, de leur âme », et aussi parce que « les conduits du crématorium dispensaient de la chaleur jusqu’à tard dans la nuit, et donc, si vous dormiez sur ces conduits, vous pouviez vous rouler en boule, chaud comme un toast ». Mais Billy souffre, terriblement il souffre, parce que : « ils sont partout [...] ceux qui essayeront de t’enfoncer, et toutes sortes d’autres choses qui vaut mieux pas mentionner ». Billy est clodo, et Billy est fou. Deux qualités difficiles.
Quand Tim Willocks, l’écrivain et le narrateur, le voit pour la dernière fois, Billy est aux abois et dans un sale état. Il lui paye un coup à boire, « et les tremblements de Billy diminuèrent, mais pas l’angoisse et la terreur dans ses yeux. Il fixait l’intérieur de son verre, un homme assailli par des démons dans un monde que lui seul pouvait voir et où lui seul demeurait ».
L’auteur, à cette époque, avait « peu idée de ce que l’alcool pouvait faire au cerveau et de l’horreur aveugle de la psychose ». Il ne peut décider Billy à aller se faire soigner, même pour quelques jours, parce que, lui dit Billy « à la minute où il s’allongerait dans cet hôpital, ils allaient « m’avoir comme ça » [...] Non. C’était maintenant ou jamais... Il fallait qu’il parte en cavale pendant qu’il avait encore une chance. » Ça finit mal pour Billy, on s’en doute... mais la nouvelle, « fiction autobiographique » est ciselée comme une belle bague, ses arrêtes vives trempées dans de la souffrance brute en fusion.
Tim Willocks est devenu psychiatre et écrivain. Dans ce minuscule livre, sa nouvelle est suivie d’une interview de l’écrivain. Il y parle d’écriture, de folie, d’âme humaine... et j’ai trouvé que c’était passionnant.
Sur l’écriture : « S’il existe, dans l’histoire [de Billy], la moindre poésie ou vérité, je crois qu’il est plus probable de la voir émerger de la fiction que de faits réels.[...] La médecine m’a fourni l’occasion d’être en interaction, intime et confiante, avec des milliers de personnes, toutes, d’une façon ou d’une autre, en crise ; cela a enrichi ma perception de l’humanité.[...] J’ai toujours considéré les théories analytiques et psychiatriques de la psyché inappropriées à la tentative d’appréhender la réalité [...]. Seule la « poésie », dans ses multiples formes, a une chance de réussir à capter des instantanés de l’âme suffisamment authentiques.
Sur la folie : « La seule maladie qui ne varie pas en proportion est la « folie ». Elle se maintient à environ 1 % quel que soit le milieu ambiant. »
« Dans une proportion supérieure à la normale, les gens créatifs sont « fous » — bien que la grande majorité d’entre eux ne le soit pas. Plus important, si vous considérez les membres de leurs familles au premier ou au second degré, ils ont une plus grande propension à la créativité [...] Il est plus que moyennement probable que le gars ayant inventé la roue ait été fou, ou bien qu’il ait eu une sœur, ou un cousin fous. [...] cela signifie que nous avons une dette immense envers ceux d’entre nous qui souffrent de folie — et c’est une des forces de souffrance les plus terribles. »
Cette histoire de « dette immense envers la folie », que je suis désolée de caricaturer ici, n’en finit pas de me titiller. Et je remercie Tim Willocks de le dire si simplement, ainsi que le grand ami qui a eu la bonne idée de m’offrir ce livre. Lisez-le, il vaut 3,10 euro.


* Tim Willocks, La cavale de Billy Micklehurst, Éditions Allia


par Isabelle Canil, Pratiques N°59, octobre 2013

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