Cet ouvrage est passionnant à plusieurs égards. Tout d’abord par sa forme, un dictionnaire, il donne une grande liberté au lecteur qui, n’étant plus soumis à la lecture suivie d’une thèse, peut en faire une lecture buissonnière. L’auteur s’est donné trois objectifs. Le premier est d’approfondir certains mots et concepts qui concernent l’école, parmi les notions qui se sont imposées à lui au décours de sa pratique auprès des enfants présentant des difficultés scolaires, des parents et des différents membres de l’Éducation nationale. Pour cela, il présente des concepts classiques du développement psycho-affectif de l’enfant et d’autres plus spécifiques à l’élève (attention, compétition, curiosité, lecture, dyslexie, écriture, faute, paresse, etc.). Il aborde ces concepts d’une extrême complexité sans jamais en simplifier le contenu. Il pose des questions, donne matière à réflexion sans imposer de conclusion.
La deuxième visée de l’auteur est de témoigner, en plus de son travail avec les enfants, du travail collectif avec les enseignants, les parents et les professionnels de la petite enfance par des groupes de parole et d’analyse de pratiques. Ce point lui tient particulièrement à cœur.
Enfin, le troisième objectif est de soutenir une fonction essentielle de l’école qui est d’aider l’enfant à « développer ses propres processus de pensées et d’analyses ». Il a choisi, à cet effet, d’aborder des thèmes comme « égalité-inégalité », « empathie », « atelier-philo », « pensée ». Enfin l’auteur ouvre d’autres perspectives en faisant appel à l’histoire, la philosophie, la littérature, la sociologie pour compléter son approche : ouverture jubilatoire et matière à réflexion, en plus d’être un outil indispensable de clarification.
Je vous invite à plonger avec moi dans ce dictionnaire. Ouvrons-le au mot « ennui », collé au mot « école » (pour moi). Tout d’abord, l’auteur campe divers aspects de ce concept : évasion et fuite, retour sur soi, vide, lassitude, désintérêt, apathie, solitude… et peur qui peut amener l’enfant à « tromper l’ennui » par des occupations multiples. À cet endroit de ma lecture, le mot « temps » m’accroche et je m’autorise une lecture vagabonde. Je me sens alors un peu comme un enfant curieux qui écoute la conversation des adultes et les interrompt par la question récurrente : « Et ça, qu’est-ce que ça veut dire ? ». Sensation de liberté. Je saute d’un mot à l’autre, je pars à l’aventure, je m’évade, pour revenir peut-être plus tard… Et me voici de retour avec l’ennui (sans en faire l’expérience à cet instant). L’auteur se promène maintenant parmi des écrivains (Cioran, Paul Celan, Sartre, Beckett, Baudelaire, Flaubert…), des philosophes (Heidegger), ouvrant d’autres perspectives que celles de la psychanalyse par ces approches. Mona Ozouf, historienne, apporte son éclairage loin des préjugés : « Au moins peut-on suggérer aux parents et aux maîtres de ne pas craindre l’ennui ; de cesser d’en faire l’emblème de l’échec. Celui de leur éducation pour les premiers ; de leur enseignement pour les seconds ; d’abandonner la tâche écrasante et chimérique de faire advenir un monde sans ennui. Au lieu de rêver de chasser tout ennui de l’école, mieux vaudrait se mettre à l’école de l’ennui ». À présent, Paul Marciano propose une série d’interrogations sur le rapport des enfants à l’ennui. À partir de sa longue expérience clinique, il décline un ennui « sauvegarde », un ennui « douleur », un ennui « solitude », etc. Enfin, une enseignante en maternelle témoigne de sa pratique, de la manière dont elle utilise l’ennui dans sa pédagogie : « Dans le courant de l’année, il arrive aussi que des enfants ne fassent rien, ne veulent rien faire et semblent s’ennuyer. Je leur propose alors d’aller voir les autres, de voir ce qu’ils font, quelles activités ils ont choisi de faire. L’ennui leur permet d’aller vers les autres ».
L’exemple de ce concept illustre la fécondité de ce dictionnaire par toutes les pistes de réflexion ouvertes par l’auteur, la richesse de son expérience rapportée par des vignettes cliniques, les approches pluridisciplinaires s’enrichissant mutuellement. Je conclurai par deux apports fondamentaux qui animent Paul Marciano : celui de rappeler une fonction majeure de l’école qui est de préparer l’enfant à exercer, adulte, ses capacités de pensée et d’analyse et enfin celui d’insister sur l’importance du travail collectif.
Anne Pagès