On s’inquiète pour Zoé

Martine Lalande
Médecin généraliste

Tu as vu Zoé récemment ? Oui, elle est venue me demander un test de grossesse et un test du sida. À nouveau ? Que lui est-il arrivé ? Elle a suivi un homme, qui l’a battue et séquestrée, on a fait aussi un certificat... Encore une fois. Comment l’aider ? Sa mère veut bien à nouveau l’héberger, peut-être que ça ira cette fois. Elle prend son traitement ? Je ne crois pas, et elle n’a pas envie d’aller au CMP. Je peux appeler sa psychiatre, mais elle ne pourra rien faire si elle n’y va pas. La dernière fois qu’elle est allée à l’hôpital psychiatrique, elle a signé sa pancarte, elle trouvait que personne ne s’occupait d’elle. Et quand on l’a envoyée aux urgences, ils ont dit qu’elle avait surtout un problème d’alcool.
Pour moi, Zoé est schizophrène, elle change d’humeur toutes les deux minutes quand elle est en crise, elle s’accroche à mon cou puis se rétracte et ne veut pas qu’on la touche. Pour ma remplaçante, elle est maniaque, il faut dire que rien ne l’arrête quand elle est remontée. Je ne me souviens pas si nous avons quelque part un compte rendu avec un diagnostic.
Sa vie est très compliquée, elle habite chez sa mère, qui la met régulièrement à la porte, mais parfois elle vend les habits de ses frères, puis elle se plaint que sa mère lui prend tout l’argent de son allocation. Elle est plus calme quand elle est sous traitement, mais elle ne le prend pas toujours. Elle se retrouve sans cesse dans des situations délicates, à un moment elle se prostituait (pour acheter ses cigarettes), et beaucoup de gens ont abusé d’elle. Elle est un peu suivie par un éducateur d’un lieu d’accueil de jour pour personnes en situation précaire, il faut dire qu’elle l’est (en situation précaire), on s’appelle quand on l’a vue, il l’accompagne parfois au cabinet. Que faire pour elle ?
Cette fois-ci, le test est positif (elle est enceinte). Elle dit d’abord qu’elle veut interrompre la grossesse, on lui réserve un rendez-vous à l’heure qui lui convient au centre d’IVG, elle en rate trois. Elle ne s’est pas réveillée, sa sœur n’a pas pu l’accompagner, elle veut aller dans un autre hôpital. Puis on apprend que sa mère et sa sœur l’ont convaincue de garder l’enfant. Il faut adapter son traitement, mais elle a très peur de se faire suivre. On arrive à négocier, elle ira voir le psychiatre de la maternité, une consultation dédiée aux femmes enceintes, c’est plus neutre. Maintenant, elle a un objectif et c’est la paix familiale. Mais pour combien de temps ? Et a-t-elle une petite chance qu’on lui laisse son enfant ?


par Martine Lalande, Pratiques N°67, octobre 2014

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