"Nos erreurs" en formation continue

En 2010, nous avons consacré deux séances de formation à ce thème, temps où le groupe bienveillant a permis l’expression de vécus douloureux et le retour collectif sur nos pratiques pour essayer de les améliorer.

Marie Kayser,
médecin généraliste

Pourquoi avoir proposé ce thème ? (note 1) Quand j’étais interne, j’ai vécu très difficilement, car sans parole collective, un évènement indésirable grave lié aux soins pour un patient dont je m’occupais. La crainte de l’erreur a toujours été présente dans ma pratique médicale et le vécu des erreurs douloureux. Les procès de deux collègues proches m’ont beaucoup questionnée et touchée. Le livre de Pierre Klotz : L’erreur médicale (note 2), m’avait sensibilisée à l’intérêt de faire de l’erreur un thème de formation et de réflexion sur la pratique. Enfin, l’aide du collectif de travail de notre cabinet de groupe a toujours été fondamentale pour partager autour de nos erreurs.
Ma proposition a trouvé écho au niveau de notre groupe et nous nous sommes lancés, mon collègue François Meuret et moi, pour préparer cette séance. Nous avons rassemblé une bibliographie et établi une « fiche-erreur » : questionnaire de recueil et d’analyse des erreurs, en nous inspirant de la démarche d’enquête faite par Marc Chanelière (note 3) pour son travail de thèse.

Qu’est-ce qui est arrivé ? (identification de l’évènement indésirable).
Comment est-ce arrivé ? (identification du type d’erreur, exécution ou planification)

Pourquoi est-ce arrivé ? (Recherche des conditions favorisant l’erreur et des facteurs latents sous-jacents).
Ressenti du médecin sur la situation : évènement indésirable ou erreur médicale.
Impact immédiat pour le médecin et pour sa pratique selon le médecin.

Impact ultérieur pour le médecin et pour sa pratique en rapport avec l’évènement selon le médecin.

Nous avons adressé cette « fiche-erreur » aux membres de notre groupe en leur proposant de recueillir leurs erreurs à partir de cette grille, en vue de la séance de formation. Nous rappelions d’emblée qu’il était important que les discussions se déroulent dans le respect de chacun, sans jugement. Nous leur avons également envoyé une bibliographie (notes 3 à 7).

Tableau en pdf

Au cours de la première séance, nous avons fait une courte présentation dans laquelle nous avons repris les définitions importantes autour de l’erreur à partir de la revue Prescrire (notes 4 et 5) :
— un effet indésirable est dit « lié aux soins » quand le lien de causalité avec les soins est plausible ;
— un effet indésirable est dit « évitable » lorsqu’il résulte d’une « erreur » survenue à l’un des stades du processus de soins ; on peut aussi l’exprimer ainsi : « n’importe quel évènement inattendu, non anticipé, survenu au cours de votre pratique et dont vous pensez : ceci a menacé le bien-être du patient et n’aurait pas dû arriver, je ne veux pas que cela se produise à nouveau » ;
— la notion de « faute » étant différente, car elle relève du domaine juridique ou de l’intentionnalité dans l’erreur et nous reprenions l’exemple suivant : faire un vaccin en n’injectant que le soluté de dilution sans le principe actif est une erreur, s’en rendre compte et ne pas le dire au patient est une faute.
Nous avons abordé les différents niveaux d’effets indésirables évitables depuis la présence de circonstances à risque d’erreur, mais sans que l’erreur ne survienne, en passant par l’« échappée belle », erreur effective mais sans conséquence préjudiciable, source précieuse d’informations sur les possibilités de « rattrapage », jusqu’à l’erreur effective avec effet indésirable pour le patient dont la gravité est variable.
Après cette présentation, nous avons travaillé en petits groupes sur le mode « groupes de pairs » : chacun présentait un des récits qu’il avait apportés, celui-ci était analysé collectivement à l’aide de la grille de la « fiche-erreur », chaque groupe avait un animateur garant du respect de la parole et un rapporteur pour permettre la mise en commun, qui a eu lieu à la fin de la première séance.

Entre les deux séances, nous avons fait un travail de synthèse à partir des « fiches-erreurs » (cf. tableau) récoltées le premier jour ou adressées ultérieurement, sous la forme d’un tableau pour en ressortir les grandes lignes et les enseignements pour notre pratique.

La deuxième séance a comporté un premier temps en « groupes de pairs » puis la restitution de notre travail de synthèse.
Nous avions retrouvé cinq types de problèmes qui pouvaient avoir été en cause dans la survenue des erreurs, les problèmes étant souvent intriqués :
— les problèmes cliniques : recueil insuffisant d’informations : questions non posées, examens complémentaires non demandés ou trop focalisés ou non faits ou non interprétés, diagnostics graves non envisagés (du fait de la grande prévalence des diagnostics bénins en médecine générale) ;
— les problèmes thérapeutiques : essentiellement effets nocifs des médicaments, interactions médicamenteuses ;
— les problèmes relationnels : patient trop connu (dans les suivis au long cours), en relation particulière (amitié, etc.), étiqueté (psy, alcoolique, hypochondriaque...), perturbant car multi symptomatiques, victime d’un contre-transfert négatif ;
— les problèmes organisationnels : multiplicité des intervenants, coordination difficile avec l’équipe soignante (hospitalière ou établissement d’hébergement de personnes âgées), mauvaise organisation du suivi avec perte de contact ;
— les problèmes en rapport avec le soignant : sa surcharge de travail, ses horaires tardifs, sa fatigue, ses périodes d’énervement et de moindre disponibilité ;
Pour définir l’impact immédiat qu’avait eu l’évènement indésirable, c’est le terme de « culpabilité » qui revenait le plus souvent ainsi que ceux de « honte » par rapport aux autres soignants, « d’énervement » par rapport à soi-même et au spécialiste intervenant, de « sentiment de responsabilité ». Assez souvent, le médecin avait repris l’histoire avec le patient ou sa famille de sa propre initiative ou à la demande de ceux-ci, le plus souvent il avait continué à suivre son patient.
Les erreurs ou les retards de diagnostic avaient souvent eu comme impact ultérieur ce que les médecins analysaient comme une « surévocation » des diagnostics et une « surprescription » d’examens, l’identification des situations dans lesquelles l’erreur s’était produite les avait amenés à une vigilance accrue face aux différents problèmes qu’ils avaient identifiés. Nous terminions par l’apport d’un article sur les « règles de métier » où l’auteur (note 7) reprenait ses « ... balises personnelles dans une démarche de prévention de l’erreur vue comme un accident de travail » : se connaître, savoir les « outils » dont on dispose et les améliorer, avoir un juste positionnement au niveau de la relation, mener jusqu’au bout le travail commencé, avoir le temps et le cadre nécessaire, travailler dans un cadre collectif... Les participants nous ont rapporté que cela avait été pour eux un temps fort avec une grande qualité d’écoute, tout le monde se sentant concerné, la plupart de ces récits avaient déjà été abordés au sein des cabinets de groupe.
Deux des évènements indésirables évitables avaient eu des conséquences juridiques, dans un cas à l’hôpital et le collectif de travail en avait permis l’analyse, dans l’autre cas en médecine ambulatoire, l’analyse de la situation avait été faite grâce à l’échange d’un de leurs correspondants spécialistes.
Il a été souligné l’intérêt de pouvoir nous interpeller au sein de notre groupe quand nous ressentions le besoin de parler autour d’une erreur et celui de faire des signalements dans le cadre du programme

« Éviter l’évitable » de Prescrire.
La quasi-totalité des erreurs rapportées correspondaient à des évènements indésirables graves ayant conduit au décès du patient, à des séquelles invalidantes, ou à des retards diagnostics préjudiciables. Les praticiens les avaient choisies parce qu’elles étaient lourdes à porter.
En reprenant à distance ce travail, je réalise que ce partage de nos erreurs a été un moment important pour notre groupe, favorisé par le climat de confiance et d’empathie : il s’agit d’un groupe très convivial, se connaissant bien, et dont la plupart des membres travaillent en équipe.
Nous avons pu faire retour ensemble sur notre pratique et aborder l’erreur comme un des éléments constitutifs de celle-ci. Nous avons réfléchi sur la complexité systémique des erreurs et ouvert sur l’importance de les analyser de façon plus approfondie pour mieux les prévenir.
Nous avions proposé de refaire ce travail à partir d’évènements moins chargés émotionnellement comme les « échappées belles ». Il serait aussi intéressant de travailler sur les modalités de révélation de l’erreur au patient ou à sa famille.


Notes :
1. Association de Formation à la Santé, groupe Nantais affilié à la Société de Formation Thérapeutique du Généraliste.
2. Pierre Klotz, L’erreur médicale. Mécanismes et prévention, Paris, Maloine, 1994.
3. Marc Chanelière, Impact des évènements indésirables sur la pratique des généralistes, thèse de médecine (région RhôneAlpes), 2005.
4. Prescrire, supplément au n° 267, 2005 : « Éviter l’Évitable. Tirer parti des erreurs pour mieux soigner ».
5. Prescrire, n° 320, « Éviter l’évitable : Le soignant, l’erreur, et son signalement », p. 456-460 et voir dans ce numéro l’article « Briser la solitude » p. 61.
6. Éric Galam, « L’erreur médicale en médecine générale », Responsabilité, 2007.
7. Élisabeth Maurel-Arrighi, « Quelles règles de métier ? Quel Collectif ? », Pratiques, n° 37, L’erreur en médecine,1994.


par Marie Kayser, Pratiques N°59, novembre 2012

Documents joints

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