Je deviens médecin ?

Qu’est-ce que j’ai appris de l’erreur dans les études médicales ?

Jessica Guibert,
externe en médecine générale

Je suis au début de mon internat, et donc au pic de la hantise de l’erreur médicale...
Je suis au moment où se confrontent le plus durement les deux personnages qui composent le statut d’apprenti médecin : l’étudiant incertain et le praticien responsable.
Avant, l’étudiant incertain avait clairement l’avantage. Car pendant l’externat, on n’est pas responsable de grand-chose : l’activité soignante d’un externe est toujours réalisée sous surveillance ou sous supervision, revérifiée, contrôlée et en tout cas, on peut toujours en attribuer la responsabilité aux personnes qui nous l’ont déléguée. Mais là, ça y est, je suis interne, donc je soigne des gens. Même si, en théorie, les médecins qui me supervisent sont responsables de ce que je fais, dans la vraie vie, je construis une relation de soin avec un patient, je suis donc médecin, avec une vraie responsabilité. Sauf que l’étudiant toujours là, comme pendant l’externat, il prend de la place, il crie fort. Alors ces deux-là se disputent la place dans mon cerveau... et moi, j’ai peur. Mais rien ne m’y a préparé...

Qu’est-ce que j’ai appris de l’erreur dans les études médicales ?
L’erreur médicale, c’est un truc innommable. Une horreur, une abomination, qui ne devrait jamais exister. C’est ce que six ans d’études ont réussi à m’enfoncer dans le cerveau. On m’a aussi appris que si je travaille beaucoup et que je connais tous mes cours sur le bout des doigts, je serai un bon médecin, vous savez, celui qui ne fait pas d’erreur. Mais pour ça, il faut que je me donne toute entière à la médecine : elle n’accepte pas les demi-engagements. Je dois dédier ma vie à l’acquisition du savoir médical, dans l’intérêt du patient, bien sûr. Pourtant, j’en ai vu des erreurs médicales. La position d’externe est pour cela très privilégiée : assez renseigné pour comprendre ce qui se passe, complètement introduit au cœur des services hospitaliers, mais pas assez impliqué dans la prise en charge pour s’en sentir responsable... Alors on se les raconte, on en rigole... On se moque surtout cyniquement des stratégies des médecins pour les dissimuler. Ces erreurs, personne ne les assume, personne n’en prend la responsabilité. Nos chefs ne sont jamais en tort, ils sont infaillibles.

D’un autre côté, j’ai aussi bien vu comment est-ce qu’on m’apprenait la médecine. Les mains dans le cambouis, lâchés face aux patients, sans véritable accompagnement, les étudiants en médecine bricolent et expérimentent pour se former. Alors bien sûr, on fait plein d’erreurs, et c’est comme ça qu’on apprend. Étrange cette contradiction d’ailleurs, l’erreur médicale tant stigmatisée, alors que les services hospitaliers reposent énormément sur des étudiants inexpérimentés et mal encadrés...
Cela nous pousse à dissimuler nos erreurs aux patients, à nos supérieurs, et peut-être à nous-mêmes... Elles me disent quoi ces études de médecine ? Si tu travailles, tu ne feras pas d’erreur. Même si tu fais une erreur, elle doit être invisible alors surtout n’en assume pas la responsabilité, ou débrouille-toi pour la cacher... Devant la pression, le non-dit, l’exigence de résultats et le manque de moyens, la variable d’ajustement c’est nous, soignants et patients, et donc c’est moi, petite interne angoissée.

Cette angoisse de l’erreur médicale, je pense que je suis en train de la dépasser.
Je réalise que tout ce qu’on m’a appris et montré sur l’erreur n’était que mensonges et grandes démonstrations puériles d’individus névrosés incapables d’assumer l’étendue de leurs responsabilités... Mes maîtres de stage font aussi des erreurs, et pourtant ce sont de vrais docteurs. Et parfois, ils font aussi des trucs que, du haut de ma petite expérience, je n’approuve pas. Et puis chacun a une manière de soigner différente, et finalement il n’y a pas un cas où tous les patients meurent et l’autre où ils repartent tous contents... Tout ça me fait relativiser, et je commence à arrêter de croire que quand je ne sais pas quelque chose, c’est parce que je suis encore étudiante et qu’il me faut travailler encore plus. Quand je ne sais pas, c’est peut-être que personne ne sait ; ou que je n’ai pas besoin de savoir pour prendre des décisions ; ou qu’il faut que je recherche ; ou que le patient sait, lui ; en tout cas, ce n’est pas un drame. Je commence à savoir comment j’ai envie de soigner, et à y croire. Je sais que l’erreur est inévitable, et j’essaie de rester humble, en assumant mes incertitudes et mes erreurs.
Je deviens médecin.


par Jessica Guibert, Pratiques N°59, novembre 2012

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