Mutuelles : des discours aux faits

Les entraves mises par Harmonie Mutualité Loire-Atlantique à la pratique du tiers-payant en médecine générale sont un frein pour l’accès aux soins.

François Meuret,
médecin généraliste

J’exerce en association avec deux autres médecins généralistes dans un immeuble HLM, le Sillon de Bretagne à Saint-Herblain, dans la périphérie nantaise. Pour favoriser l’accès aux soins, nous avons toujours beaucoup pratiqué le tiers-payant, en nous faisant payer directement la consultation par l’Assurance maladie, pour les personnes bénéficiant de la CMU (Couverture Maladie Universelle) et de l’AME (Aide Médicale d’Etat), mais aussi pour celles en ALD (Affection Longue Durée) ou en invalidité et donc prises en charge à 100 %. Nous le faisons aussi pour les autres quand c’est possible, c’est-à-dire quand nous pouvons nous faire payer directement la part complémentaire par la mutuelle ou l’assurance.
Et c’est là que le bât blesse.

Notre région a été une terre mutualiste portée en particulier par le « christianisme social ». De regroupements en fusions, cette mouvance s’appelle maintenant Harmonie Mutualité Loire Atlantique et est une des plus importantes structures d’Assurance complémentaire.
Acteur incontournable, considéré comme faisant partie du courant « progressiste » ayant participé dans les années 80 à la création du Centre de Santé de Saint-Nazaire, elle est maintenant intégrée dans le groupe Harmonie Mutuelle.
Elle pratique le tiers-payant pour tout... sauf pour les consultations de médecine de ville.
Quand le médecin se fait payer la part obligatoire directement par l’Assurance maladie (16,10 sur 23 euros), les 6,90 restants ne sont pas remboursés automatiquement au patient. Il faut le plus souvent qu’il fasse une démarche auprès de la mutuelle avec justificatifs à l’appui (ticket attestant qu’ils nous ont payés 6,90 et relevé du décompte de la CPAM). Résultat, beaucoup ne contrôlent pas et cela passe aux pertes et profits. Les médecins eux, ne peuvent pas se faire payer cette part complémentaire directement, contrairement à ce qui se passe avec beaucoup d’autres organismes mutualistes ou assureurs. Beaucoup de patients sortant de la CMU se voient proposer cette mutuelle et ne comprennent pas de devoir avancer les 6,90 et de faire des démarches pour se les faire rembourser alors que le tiers-payant est de droit dans cette situation.

Parmi les rares qui se plaignent aux guichets, certains se sont vus répondre que « 6 euros 90 ce n’était pas si important ».
Nous avons essayé de faire remonter nos étonnements et énervements auprès de cet organisme qui fait par ailleurs sa publicité sur l’accès aux soins et la solidarité. Après moult difficultés, nous n’avons pas réussi à avoir d’explications, mais une proposition de signer un contrat individuel avec le groupe Harmonie nous permettant de pratiquer le tiers-payant. Ce contrat inclut la télétransmission à la mutuelle d’une Feuille de Soins Électronique indépendante de celle envoyée à l’Assurance maladie.
Nous n’avons pas donné suite pour le moment, car outre la complexité du dispositif (mais on en a vu d’autres !), la proposition nous semble pour le moins ambiguë : voilà un organisme qui semble se positionner en concurrence de l’Assurance maladie et vouloir s’affranchir de sa tutelle, proclamant son refus d’être « payeur aveugle » derrière celle-ci.
Faut-il s’inscrire dans cette logique de contrat avec les organismes payeurs ? On voit bien l’avenir qui se profile : le principe fondateur de la Sécurité sociale avait déjà été écorné en 1945 par la création du ticket modérateur dans le but de pérenniser les mutuelles pionnières du combat pour l’accès aux soins avant 1945, et maintenant les mutuelles se posent en concurrence avec l’Assurance maladie dans le cadre de l’ouverture du marché de la santé voulue par l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Union Européenne.
Ainsi vont les belles idées et les organisations qui les portent.
Reste que notre travail est de prendre soin des gens qui se confient à nous et que la période est dure pour beaucoup d’entre eux dans le domaine du coût des soins.
Alors je vais sans doute finir par signer avec cette mutuelle pour mes patients et continuer à cotiser à cet organisme pour moi et mes enfants, mais je continuerai aussi à rêver et me battre pour un vrai fonctionnement solidaire et une évolution qui sorte de cette logique marchande de la santé.
Voilà un organisme qui semble se positionner en concurrence de l’Assurance maladie et vouloir s’affranchir de sa tutelle.


par Michel Meuret, Pratiques N°57, mai 2012

Documents joints

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