Médiateur au CHU

La fonction de médiateur dans les hôpitaux a été mise en place depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, en même temps que les commissions de relations avec les usagers et la qualité de la prise en charge, les CRUQ.

Entretien avec le professeur Jacques Dubin,
médiateur au CHU d’Angers.
Propos recueillis par Sylvie Cognard

Pratiques : Combien de fois par an votre intervention est-elle demandée ?
Jacques Dubin : Au CHU d’Angers, il y a eu 89 215 hospitalisations en 2010 et j’ai été saisi vingt-trois fois par la direction ou les usagers [ Rapport annuel 2010 de la CRUQ du CHU d’Angers : La majorité des saisines, 70 %, du médecin médiateur a concerné la prise en charge médicale. Les deux plus importants postes de saisine sont : l’information du patient dans la prise en charge médicale et le respect de ses choix, de sa dignité.]]. Les réclamations [1] et plaintes qui sont envoyées à la direction générale relèvent du pouvoir de la CRUQ (commissions de relations avec les usagers et la qualité de la prise en charge). Le médecin médiateur est membre de la CRUQ. Celleci est informée lors des réunions (une par trimestre) des réclamations et plaintes. Les plaignants peuvent demander à ce qu’une réclamation anonymisée soit présentée lors de la réunion. Le médiateur est interpellé soit directement, soit par la direction sans passage par la CRUQ. En 2010, on compte cent quatre-vingt-dix-neuf réclamations ou plaintes. Cela va des problèmes de facturation, par exemple quelqu’un qui a attendu trois heures aux urgences, qui est parti et qui reçoit une note, jusqu’à celui qui pense qu’il y a une erreur médicale grave.

Parlez-nous de votre rôle.
En premier, c’est informer le patient, lui expliquer, lui apporter des éléments qui puissent lui permettre de comprendre ce qui a pu se passer. J’explique aux gens : « Vous n’êtes pas contents, vous pensez qu’il y a eu une erreur médicale, vous pensez qu’il y a un préjudice, commencez par faire un recours gracieux auprès de la direction qui transmet à la compagnie d’assurances du CHU. Laquelle va pratiquer une expertise et juger si la plainte donne lieu à une indemnisation. » Les plaignants peuvent aussi aller vers la CRCI, la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux. Pour le tribunal administratif, je ne leur conseille quasiment jamais parce que la procédure est longue, quatre à cinq ans, compliquée et cela coûte cher.

En second, c’est de pouvoir faire remonter l’information, en lien avec la cellule qualité [2] directement au service, en disant : mettez en place des mesures pour que cela ne se reproduise pas. C’est une demande constante des usagers. Beaucoup viennent en disant : « Je ne veux pas aller au procès, mais ce qui est arrivé à ma fille, je ne veux pas que ça arrive à une autre petite fille après-demain. » Troisièmement, c’est de tenter d’éviter une judiciarisation [3]. À deux niveaux, un pour l’établissement parce que ça coûte cher, deux pour les personnes. J’ai en tête une personne, pour laquelle j’étais persuadé qu’elle allait être indemnisée et qui ne l’a pas été. C’est passé par le tribunal administratif. C’est quelqu’un qui s’est battu pendant quatre à cinq ans, elle était complètement démoralisée. C’était une histoire de parotide. Elle avait été opérée, le chirurgien lui avait coupé le nerf facial en croyant qu’elle avait un mélanome. Ce n’en était en fait pas un. Le chirurgien aurait pu éviter de sectionner le nerf facial, en demandant une biopsie extemporanée et aurait pu dire : « On n’a pas encore le bon diagnostic, on referme et on verra plus tard ». La patiente a été totalement déboutée. Aller vers une judiciarisation, c’est prendre le risque que la personne n’obtiendra pas ce qu’elle espère. Et psychologiquement cela peut être dramatique.
Mon rôle, c’est aussi d’être dans l’empathie, de comprendre, d’écouter.
Un exemple : de jeunes parents, leur petite fille a eu un plâtre. Lorsqu’on lui enlève le plâtre, l’externe qui ne sait pas très bien faire marcher la scie à plâtre, entaille le bras de l’enfant. Je fais mon enquête puisqu’il s’est passé quelque chose de pas normal. Ce n’était pas au jeune externe d’ôter ce plâtre sans connaître le fonctionnement de l’appareil. On voit là la chaîne systémique. C’était un dimanche, un acte pas habituel, il y avait eu un changement de garde. En fait, l’acte qui aurait dû être réalisé aux urgences par des professionnels habitués a été pratiqué dans un secteur de consultation.
Il y a parfois des gens qui reviennent plusieurs fois pour parler. Je leur dis : je vous explique, je vous informe, vous allez peut-être avoir d’autres questions, vous pouvez revenir, je suis là, je peux vous donner des compléments d’information. Cette relation se créé parce que je dis aux gens que je ne suis pas là pour défendre l’institution. C’est important, parce que je pourrais être accusé à juste titre d’être juge et partie. On pourrait imaginer que l’établissement veuille « faire taire » parce que cela coûte cher. Je suis là pour essayer d’expliquer, pour informer, apporter tous les éléments dont vous avez besoin pour prendre une décision éventuelle, je ne suis pas là pour défendre le CHU d’Angers. Mon idée serait que l’on puisse intervertir les médiateurs, par exemple celui d’Angers serait à Nantes et vice-versa. Il est important que ce soit un médecin, d’une part pour ses connaissances et d’autre part pour avoir un accès facile à de l’information parmi ses collègues, entre autres le dossier médical. Un « vieux crabe » plutôt en fin de carrière, respecté des collègues.

Avez-vous l’impression qu’il y a une augmentation de la judiciarisation ?
Non, la judiciarisation est fantasmée par le monde médical. Il n’y a pas d’augmentation des affaires qui vont au contentieux lourd 4. L’évolution est marquée par le fait que les gens sont mieux indemnisés. Sur dix-huit dossiers clos, cela va du recours gracieux à l’indemnisation par la compagnie d’assurances : neuf dossiers ont été indemnisés par recours gracieux, trois ont abouti en CRCI et six décisions de justice au tribunal administratif. Depuis que j’exerce ma fonction, le nombre de demandes est constant, vingt-trois à vingt-quatre par an. Les recours sont plus nombreux, je les explique par une meilleure information sur les procédures plus que par une augmentation de la judiciarisation. C’est le fait que j’explique aux gens les recours, voire même que je les incite à écrire. Cela m’arrive même de leur faire le courrier pour le directeur général : « Monsieur le directeur, j’estime avoir été victime d’un préjudice ». On raconte l’histoire et on écrit : « Je demande un recours gracieux ». C’est pareil pour la CRCI. Je dis aux gens ça existe, c’est gratuit, il va y avoir une expertise et la réponse est rapide. Je leur montre le document sur Internet. À une époque, il y avait une personne du CHU qui remplissait le document pour la CRCI, mais elle est partie. Maintenant, du coup, je les fais remplir par « Que choisir Santé ». C’est une question de crédibilité, la prise en compte du point de vue du patient. Par exemple, un patient se plaint du résultat de la mise en place d’une prothèse totale de hanche. L’orthopédiste ne comprend pas. Il me dit : « La prothèse est bien mise, regarde la radio ». « Oui, mais la personne pense qu’elle n’est pas bien mise. D’un point de vue technique, ta radio est parfaite, mais la personne est mal et se fiche bien que la radio soit parfaite. Il faut essayer de savoir pourquoi, comment... Lui expliquer que dans 95 % des cas, les gens sont contents de leur prothèse de hanche, ça marche très bien, et que dans 5 % des cas, on ne sait pas pourquoi, il y a un truc, il n’y a pas d’explication. » C’est la difficulté, confronter les points de vue et offrir les informations, les voies de recours, ça fait partie du job.

Pensez-vous que les relations entre soignants et patients sont plus claires aujourd’hui qu’il y a vingt ans ?
C’est personne-dépendante et service-dépendant. Il y a des services où je suis relativement souvent interpellé et d’autres pas du tout. Dans certains services, des choses se mettent en place spontanément. Je constate une évolution dans la prise en compte des droits des patients, mais elle est peut-être un peu dévoyée. En 1996, un arrêt de la cour de cassation (Arrêt Hedreul) a procédé au renversement de la charge de la preuve. C’était au médecin de prouver qu’il avait bien informé le patient des bénéfices et des risques d’une intervention et non, comme auparavant, au patient de prouver qu’il avait été mal informé. Les médecins ont alors mis en place des informations, qui sont plus des informations « défensives ». On informe de façon exhaustive, en se disant : « Comme ça, s’il y a un pépin, je suis protégé. Je fais de l’information, du consentement pour me protéger de la justice ». Quand la société ORL avait sorti des documents comme pour tous les actes chirurgicaux, je m’étais amusé à en donner à un élève directeur, qui faisait son stage ici. Il était revenu me voir en disant : mais il y a des passages où je ne comprends rien. On voit bien qu’on a été dans l’application du droit des patients dans un modèle défensif, maintenant les choses évoluent doucement.

Comment sont gérées les erreurs ?
Les choses ont bien évolué dans la mesure où il y a une politique que la direction et moi défendons, à savoir qu’erreur n’égale pas faute. J’explique en permanence que l’on peut faire des erreurs, tout le monde en fait. Le plaignant n’est pas obligatoirement obtus. Il est capable de comprendre que l’erreur est humaine. Si le médecin a bien ça en tête, il va être capable de reconnaître ses erreurs. S’il n’y a pas de faute et que l’erreur est reconnue, sauf cas particulier, les gens comprennent cette notion et ne vont pas vers la poursuite judiciaire. L’institution s’excuse, dit qu’il n’aurait pas dû se passer ça, qu’on est absolument désolé et que l’on va essayer de tout faire pour réparer cette erreur. Cette attitude est entrée dans l’esprit des soignants non-médecins, beaucoup moins dans l’esprit des médecins. Sans doute est-ce lié à leur formation : quand on sort de la fac, on sait tout faire, on va tout guérir, et on ne fera jamais de faute. Après, il y a la notion de personne, plus ou moins capable d’entendre, et la notion d’âge. J’ai en tête l’histoire récente d’un jeune professeur des universités qui a eu un comportement totalement inadapté face à une erreur qu’il avait commise. Il n’a pas su rencontrer la famille comme il le fallait, il n’a pas dit les mots qu’il aurait dû dire, et maintenant on est dans une demande indemnitaire, alors que les choses auraient pu se régler sans cela. Logiquement, quand il y a un évènement indésirable, il doit être transmis à la cellule qualité. Il existe une procédure pour déclarer. Moi je vois ça à l’autre bout, quand les gens ont une plainte. Dans la grande majorité des cas, l’évènement indésirable n’a pas été déclaré. Évidemment, ça revient par le biais de la Direction des usagers. L’intérêt de mon métier c’est aussi d’améliorer la qualité. Je n’ai jamais vu dire : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre », la notion de cacher les choses est une notion qui a disparu. En tout cas, moi j’ai beaucoup prêché pour dire : « Vous dites à quelqu’un qui se plaint qu’il ne s’est rien passé, c’est le meilleur moyen pour que ça se judiciarise. » Dans certains services, quand quelqu’un demande son dossier, le médecin refuse sous prétexte « qu’on ne sait jamais ». Il faut que je me déplace et exige du chef de service qu’il me soit remis dans la seconde. C’est la loi : « Tu as un dossier, tu donnes le dossier ». Sinon ils vont aller à la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs). Là-bas ils vont dire : « Ils nous cachent des trucs » et aller en justice, c’est clair.

Qui parle de l’erreur au patient ?
Un nombre important de situations complexes est géré dans les services. On a la chance d’avoir à la Direction des usagers une infirmière qui a fait l’école de santé, qui a une vraie vision et qui va intervenir pour qu’il y ait rapidement une rencontre de l’équipe avec la famille. Équipe qui va expliquer, qui va dire effectivement : « Il s’est passé quelque chose ». Ça avance dans cet esprit-là. Avec toujours quelques services un peu récalcitrants, plus volontiers dans le milieu chirurgical. Où ils sont souvent imbus de leur personne...

Parle-t-on à un patient d’un évènement indésirable dont il ne s’est pas rendu compte ?
En principe, c’est la loi. Sur le portail intranet du CHU, il y a tous les renseignements, pour la gestion des accidents et des évènements indésirables, avec un arbre décisionnel pour la gestion des plaintes. Quand j’ai présenté les « bonnes pratiques d’annonce d’un dommage associé au soin » en commission médicale d’établissement (CME), j’ai rencontré beaucoup de résistances. C’est pourtant dans les textes : l’information doit être délivrée au patient dans les quinze jours suivant le dommage.

Comment avez-vous été nommé médiateur ?
J’ai fait un DU de responsabilité médicale à Rennes et un DESS de droit en santé et d’éthique. C’est sans doute pour cela que j’ai été sollicité par la direction. Je vais prendre ma retraite et l’administration m’a demandé de garder ma fonction de médiateur parce qu’il n’y a pas grand monde qui s’intéresse à cela.


par Jacques Dubin, Pratiques N°59, novembre 2012

Documents joints


[1Rapport annuel 2010 de la CRUQ du CHU d’Angers : Sont considérées comme « plaintes et réclamations » toutes les formulations d’insatisfaction, les remarques, suggestions ou avis émis de façon spontanée ou non et ce quel qu’en soit le mode d’expression (écrit ou oral) et le mode de recueil. Le terme « réclamation » englobe les requêtes, les doléances ou les réclamations de toute nature émises par un usager ou sa famille et mettant en cause la prise en charge et l’organisation des soins au sein du CHU.

[2Extrait du document Direction Générale/Cellule qualité, risques, évaluation du CHU d’Angers : « Le signalement des évènements indésirables s’inscrit dans le contexte plus global de la gestion des risques. Les activités de soins exposent, par leur nature même, des personnes à des risques : les patients en premier lieu, mais aussi les personnels, les visiteurs et plus généralement les usagers ». Plusieurs circuits de remontée d’informations sont mis en place dans le cadre de l’identification des situations à risques : signalement des incidents liés aux vigilances, déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle, signalement des incidents et accidents de tout autre nature, résultat des audits internes, les plaintes, le résultat des contrôles, des inspections et des audits externes. Du fait de notre mission de prise en charge des patients, une attention toute particulière est portée à la déclaration des évènements indésirables graves liés aux soins, aussi bien dans le cadre du circuit déclaratif que dans celui des revues de mortalité-morbidité.

[3Passage devant les tribunaux, administratif ou pénal.


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