Lu : Anthropologie d’un service de cancérologie pédiatrique. De la parole au choix

Marie Bonnet, Anthropologie d’un service de cancérologie pédiatrique. De la parole au choix, Ed. L’Harmattan, 2011
Présenté par Christiane Vollaire

Marie Bonnet est psychanalyste et anthropologue, avec en outre une expérience de la direction d’hôpitaux. Elle a collaboré au n° 49 de Pratiques sur « La place du patient ». Cet ouvrage est la synthèse d’un travail de terrain de trois ans, en « immersion et observation participante », comme elle le qualifie elle-même, en service d’oncopédiatrie. Dans ce contexte, il ne révèle pas seulement les ambivalences du dispositif de soins dans la perspective médicale, mais aussi celles du dispositif d’observation dans la perspective des sciences humaines. Ambivalences qui apparaissaient déjà à Claude Lévi-Strauss lorsqu’il fondait l’anthropologie contemporaine, mais aussi à Marie-Christine Pouchelle, collaboratrice et souvent inspiratrice de la revue , lorsque sa recherche d’anthropologue l’immerge dans le régime hospitalier.
Quelle « neutralité scientifique » adopter, en tant que spécialiste des sciences humaines, face à des situations par définition génératrices non seulement d’émotions, mais de représentations ? Et comment faire pour que ces représentations ne soient ni falsifiantes en termes de recherche, ni surtout pathogènes en termes de soin ? L’ouvrage, dans cette intention pratique, s’adresse explicitement à un large public, qui comprend aussi bien les professionnels de la santé, que ceux des sciences humaines, et bien sûr aussi les patients et leurs familles. Ce sont donc ces représentations que l’ouvrage interroge continûment, et en particulier celles qu’on peut se faire de ce qu’est un « enfant » : elles induiront la place qu’on donnera à sa parole en tant que patient. Et sur ce point, il est intéressant que le facteur déclenchant de cette recherche n’ait été ni celui de l’anthropologie, ni celui de la psychologie, mais celui du droit. C’est en examinant, en tant que directrice d’hôpital, les textes juridiques qui assignent sa place au patient dans le régime hospitalier et dans le système de santé en général, que l’auteur a saisi les premières pistes de son travail. Et en particulier à partir de la question, juridique par excellence, du consentement au traitement.
La question centrale de l’ouvrage est bien celle-ci : que signifie consentir pour un enfant, aussi bien juridiquement mineur qu’intellectuellement non encore mature ? Se référant aux travaux du sociologue Gérard Neyrand, elle mentionne ce troublant basculement des représentations qu’on se fait de l’enfant, qui le font passer de la fiction du bébé tube-digestif à la fiction inverse de l’enfant-cerveau. D’un pur objet de soin à un sujet supposé déjà adulte. Et elle montre ainsi comment la participation aux choix thérapeutiques, relevant de la seconde représentation, fait peser, sur l’enfant patient comme sur ses parents, le poids d’une responsabilité difficilement soutenable, et qu’il est en tout cas nécessaire d’interroger.
Ainsi, le « double bind », l’injonction paradoxale dont l’enfant-patient est l’objet lorsqu’on le fait, au nom d’un modèle d’autonomie, participer à un choix thérapeutique dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants, oblige-t-il aussi à réfléchir la dimension culpabilisante de ce modèle pour les adultes : comment prétendre décider de ce sur quoi l’on n’a pas de prise ?
Où serait donc la place pour la parole de l’enfant ? Le livre ne résout pas la question. Mais il ouvre, sciemment ou non, des pistes pour la réfléchir. Et pour penser en particulier la façon dont elle peut différer aussi bien de la parole médicale que de la parole familiale. Certains exemples de blogs ouverts par les parents font une large place à d’autres fictions (celle de l’enfant-ange ou princesse), qui ne paraissent pas à même de soutenir la soif d’authenticité que révèle la maladie.
Mais une place plus constructive est faite à la ritualisation des soins, ou à la représentation du « bonhomme-douleur », qui permet non seulement une expression salutaire, mais une véritable conjuration de cet « effroi » qu’insuffle la proximité du risque de mort.


Pratiques N°56, février 2012

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