Noëlle Lasne
médecin du travail
Une diminution spectaculaire des lésions de l’épaule liées au travail est à prévoir en 2012. En effet, un décret d’octobre 2011 réécrit les conditions dans lesquelles sera reconnue l’origine professionnelle des lésions de l’épaule, lésions très fréquentes dans le monde du travail, de telle façon que la reconnaissance de ces lésions deviendra pratiquement impossible.
Les tableaux de maladies professionnelles mettent en rapport des gestes professionnels avec des pathologies, en précisant les délais d’exposition. Sur cette base, on peut demander et obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle qui permettra au salarié d’être soigné gratuitement et de conserver l’intégralité de son salaire en cas d’arrêt de travail. La reconnaissance de la maladie professionnelle permettra aussi une indemnisation ultérieure, sur la base de l’évaluation d’une incapacité partielle. On voit l’enjeu que pourraient représenter ces blessures du travail dans l’examen par exemple, d’une demande de départ à 60 ans en retraite, lié à un taux élevé d’incapacité permanente partielle.
C’est ainsi que le maçon de 50 ans, qui manipule des parpaings depuis l’âge de 15 ans et dont l’épaule droite se trouve brutalement bloquée, ou l’électricien qui travaille les bras en hauteur pour passer des câbles, se verront refuser la reconnaissance de maladie professionnelle : en effet, les examens ont montré la présence de calcifications dans leurs articulations. La présence de calcifications sur une tendinite de l’épaule contredirait désormais l’origine professionnelle de la lésion. Ces calcifications, dont on ignore l’origine précise, seraient attribuées au vieillissement et non à l’usure. Il faudrait donc en quelque sorte s’user sans vieillir. En revanche si les mêmes, le maçon et l’électricien, présentent une rupture des tendons de l’épaule en faisant les mêmes gestes, la présence de calcifications n’est plus un obstacle à la reconnaissance en maladie professionnelle. Il faut aller travailler jusqu’à la déchirure des tendons !
La femme de ménage qui nettoie les vitres, frotte les tables et manutentionne les chaises tient-elle son épaule en abduction à soixante degrés au moins trois heures trente par jour en cumulé ? Il faudra le prouver. Même question pour l’aide-ménagère à domicile. Même question pour la secrétaire qui fait de la saisie huit heures par jour : il est déjà certain que les lésions de l’épaule ne seront pas reconnues, car son membre supérieur n’est pas en abduction à soixante degrés. Un seul mot, un petit mot magique a été retiré du texte le mot « répétés », associé au mot « gestes. » Les gestes répétés ne sont plus cause de lésions tendineuses. Les gestes répétés de balayage, de pliage du linge, de soulèvement de parpaings, de manutention des panneaux de bois, de déménagement des meubles, ces gestes répétés mille fois du corps vivant au travail sont momifiés et transformés en gestes arrêtés « en abduction sur un angle de soixante degrés plus de trois heures trente par jour ». L’épaule est le premier paragraphe du tableau 57 : il reste à réécrire les pathologies professionnelles du poignet, du coude, de la main, du genou. Pour effacer, d’un trait de plume, les traces du travail sur le corps des hommes.