Les CPAM s’autodétruisent ?

Plusieurs fois par jour, nous sommes confrontés à des problèmes de dysfonctionnement de la CPAM, qui aggravent d’autant les difficultés d’accès aux soins et plongent encore plus la population précaire dans la détresse.

Yveline Frilay et
Didier Ménard,
médecins généralistes

On l’a malheureusement oublié, la mission de l’Assurance maladie est d’aider les assurés sociaux à accéder aux soins et pourtant, ce qui guide aujourd’hui la gestion des CPAM, ce sont les lois de l’économie libérale : rentabilité, productivité, au détriment de la qualité de l’aide aux assurés sociaux. Nous mesurons chaque jour les terribles conséquences de ces transformations.
La généralisation des plateformes téléphoniques ne permet plus le contact direct avec le gestionnaire du dossier de la personne malade. Le système des e-mails comme outil de communication est rédhibitoire pour les praticiens et délimite par le bas les compétences des « télé-conseillers », le plus souvent mal formés et débordés.
La centralisation de la gestion du courrier est une catastrophe. La protection sociale est probablement l’institution qui perd le plus de courrier. Quand on sait que, pour certaines personnes, ce courrier conditionne la survie, cette incompétence peut devenir mortelle.
La méconnaissance des lois et des règlements est aussi souvent responsable de l’errance des patients dans ce système administratif complexe, d’autant plus que les législateurs ne cessent de le complexifier.

Les erreurs de saisie informatique, qui sont fréquentes, deviennent elles aussi terribles quand elles aggravent le climat de suspicion à la fraude. Malheur à celle ou celui qui a subi un dommage à la saisie de l’orthographe de son nom ou de sa date de naissance, alors que c’est la caisse qui fait l’erreur, il devra
tel un coupable démontrer l’authenticité de son identité.
La rentabilité a conduit au tout informatique. Cela permet de diminuer les effectifs, d’embaucher des personnes moins rémunérées car moins formées. Mais aussi cela conduit à une perte de compétence généralisée au moment où, paradoxalement, tout se complexifie. C’est le personnel administratif qui interprète les données médicales, avec toutes les erreurs que cela engendre et qui pénalisent le malade.
Les délais de réponses pour les maladies professionnelles rendent impossible cette procédure pour les personnes qui percevront l’équivalent d’un demi-salaire par indemnités journalières en maladie pendant des mois, alors qu’elles devraient percevoir au moins 85 % de leur salaire si la maladie professionnelle était reconnue. Il faudra donc choisir entre se nourrir ou payer le loyer, choix impossible. C’est pourquoi des victimes nous supplient de ne pas déclarer leurs maladies professionnelles.
Et puis il y a tout le reste du fonctionnement des CPAM qui déraille et qui ne nous interpelle plus, tellement nous sommes devenus impuissants, alors comme nos malades, nous basculons dans un fatalisme... lui aussi destructeur.
Toutes ces manifestations de l’incurie des CPAM ont pour nous des noms, des visages, des histoires dramatiques. Cela suffit. Les anciens ont connu des CPAM où régnaient la compétence et le dévouement de ces agents. Aujourd’hui encore, grâce à ce dévouement, nous évitons le pire, mais pour encore combien de temps ?
La fermeture des centres des CPAM, le regroupement des services sont des procédures habituelles de la productivité. Mais nous sommes en droit de demander si le choix de développer une « productivité de l’exclusion » n’est pas aussi un moyen de détruire cette institution. Et une fois atteint le seuil de l’incurie qui déclenche l’hallali médiatico-politique, le secteur privé assurantiel se proposera au rachat de la CNAM, arguant que lui sait mieux faire pour un coût encore moindre. Ce jour-là sera un jour de deuil pour la République Française.
Sac de nœuds 
La CPAM impose, lorsque l’on constate des lésions imputables à une maladie d’origine professionnelle chez un patient, d’établir une déclaration par lésion, soit autant de certificats médicaux initiaux (et de prolongation) à remplir par le médecin, et autant de déclarations de maladie professionnelle pour le patient (il doit noter les emplois incriminés). Ainsi pour Paul, on établira le 8 avril pour l’ensemble des lésions constatées le même jour, quatre certificats (épaule droite [dossier N° 1], épicondylite [N°2], épitrochléite [N°3], poignet droit [N°4]) et deux mois plus tard, car nous attendions les résultats de l’imagerie, celui de l’épaule gauche [N°5].
Ce qui n’a pas empêché la caisse de se tromper entre les deux épaules, de redemander des documents pour l’épaule gauche à plusieurs reprises et, bien qu’ils aient été renvoyés, d’informer le 1er août Paul qu’il « n’a pas fourni les pièces demandées dans le délai d’un mois pour le dossier N° 5 », donc affaire classée !!! Le patient conteste le 8 août. Le 23 septembre, l’épaule droite est enfin reconnue comme maladie professionnelle. À chaque courrier, un signataire différent !!! Fin septembre, Paul arrive à joindre au téléphone le service des maladies professionnelles. « Vous avez bien un certificat concernant l’épaule gauche, mais celui-ci n’est pas conforme, la mention du diagnostic de la maladie ne convenant pas, c’est la raison du classement ». Désormais, ce n’est plus une question de certificat non reçu, la réponse n’est toujours pas satisfaisante : les certificats 1 et 5 sont remplis de la même façon, le tableau est mentionné. L’origine professionnelle ne fait aucun doute : début août, Paul avait été reçu par le médecin conseil qui avait constaté les dégâts aux deux membres supérieurs, et lui avait dit « Je note pour l’épaule gauche, c’est OK, cela m’évitera de vous reconvoquer ». Le refus change de forme au gré des administratifs ; font-ils la loi comme dans les préfectures ? Comment ces instructeurs de dossiers, qui ne connaissent pas les termes médicaux, et encore moins les maladies, peuvent-ils juger ? Ils ont cependant oublié d’avertir le patient du refus par lettre recommandée, le délai de trois mois d’instruction du dossier, qui était complet, est largement dépassé, la maladie professionnelle devra être obligatoirement reconnue. Nous attendons toujours l’explication du directeur de la CPAM.
Encore des zélés qui ont dû appliquer les directives du tableau 57 A nouvelle formule, avant l’heure (cf. article page 25)
Refaites-vous le portrait 
Berthe, 85 ans, a le malheur de se faire voler sa carte Vitale avec son porte-monnaie. Elle fait une demande de carte Vitale et joint une photo. Refus : « Votre photo n’est pas la même que sur la carte d’identité ». Elle va donc à la police pour refaire sa carte d’identité : « Madame, votre carte d’identité est toujours valable, elle n’a que huit ans, pas besoin d’une nouvelle ». Morale : pour conserver vos droits à l’Assurance maladie, refaites-vous le portrait par un chirurgien esthétique, je ne vous raconte pas le coût de la carte Vitale.
Fraudeurs désencartés 
Oujda, 45 ans, assurée sociale par son mari depuis plus de vingt-cinq ans, se fait dérober ses papiers d’identité. Sans problème, elle obtiendra son passeport, sa nouvelle carte de séjour de dix ans. Quant à la carte Vitale : « On sait que les étrangers fraudent avec la carte Vitale, vous n’en n’aurez pas d’autre ». La directive sur la fraude était bien apprise avant l’heure de sa parution.
Lecture à l’anglo-saxonne 
Marie se voit retourner sa feuille de maladie : « J’ai bien reçu votre demande de frais médicaux engagés le 11/04/2005, pour le bénéficiaire désigné ci-dessus. Je vous informe que je ne peux pas prendre en charge cette dépense. En effet, vous disposez d’un délai réglementaire de deux ans pour nous faire parvenir votre feuille. Or le 10/05/2011, date à laquelle votre demande nous est parvenue, ce délai était dépassé. Je vous informe que vous pouvez contester cette décision. »
En fait, il s’agissait du 05/04/11, l’employée avait dû travailler avant dans un pays anglo-saxon, à moins que la Sécu ne délocalise dans un pays anglophone !!!


par Yveline Frilay, Didier Ménard, Pratiques N°57, mai 2012

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