Le fou rire

Séraphin Collé
Médecin généraliste

        1. Lorsque le rire incontrôlable peut perturber même dans les situations les plus graves.

Ce devait être un entretien confraternel très sérieux au domicile d’une personne gravement malade… Le réseau de soins palliatifs avait été contacté par un médecin généraliste pour sa patiente atteinte d’un myélome. Nous devions en binôme médecin-infirmière rencontrer cette patiente au domicile de sa mère âgée chez qui elle vivait et en présence du médecin traitant.

Avant de faire cette visite, je découvre que le médecin en question est un copain du « groupe de pairs ». Cela me réjouit par avance de pouvoir le retrouver et de l’aider pour cette patiente. Arrivé au domicile, Dominique nous attend sur le perron d’une petite maison mitoyenne. Il nous explique ses difficultés et qu’il a du mal à faire comprendre à la mère et à la fille la gravité de la situation. Les hématologues ont déclaré que le stade de la maladie était incurable.

On entre dans une maison très simple au style un peu kitch, la mère et la fille nous attendent. On s’installe à la table de la salle à manger. Le médecin traitant explique à celles-ci que notre intervention est nécessaire. Nous abordons les difficultés actuelles, la douleur, la fatigue, la gestion des effets secondaires des médicaments, la perte d’autonomie, le côté psychologique. Dominique cherche à orienter la discussion sur la notion de gravité et de pronostic, mais la patiente et surtout sa mère changent de sujet au fur et à mesure.

Un regard entre nous. Une envie irrépressible de rire. D’abord maîtrisée puis incontrôlable. J’éclate de rire. J’essaie de me reprendre. C’est pire. J’en ai les larmes aux yeux. Il faut que je quitte la réunion pour reprendre mon souffle et mon sérieux.
La situation était grave, mais était-ce la petite étincelle malicieuse que j’avais vue dans le regard de Dominique qui m’avait déstabilisé ? Etait-ce cette connivence qui faisait qu’on n’était pas suffisamment concentrés sur notre objectif. Finalement, ce rire de connivence avait rencontré le rire de bienveillance de la mère et de la fille, cela m’avait calmé…


par Séraphin Collé, Pratiques N°82, juillet 2018

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