Bizutage et santé publique

Jean-Pierre Lellouche
Pédiatre

        1. Y a-t-il un lien entre le bizutage et la médiocrité des politiques de santé publique ?

Supposons une société Utopique dans laquelle il y aurait un souci marqué de la santé publique.
Dans cette société, il y aurait des études sérieuses et nombreuses sur la pollution, sur les effets nocifs sur la santé de nombreux facteurs environnementaux. On étudierait avec la même exigence les maladies infectieuses, les cancers, les maladies mentales.
On étudierait toutes les maladies et tous les problèmes de santé. On publierait beaucoup. On discuterait beaucoup, on se rencontrerait, on échangerait.
Les politiques de santé seraient décidées en lien avec ces études, ces publications et ces débats.
Les politiques décidées seraient évaluées et on se réorienterait en fonction des résultats obtenus.
Les professionnels de santé et les enseignants seraient des gens passionnés, heureux de faire un travail intelligent et utile.
Lorsqu’un jeune étudiant arriverait en fac de médecine, il serait confronté à un milieu dominé par l’intelligence, l’honnêteté, l’intérêt pour la santé publique, l’intérêt pour la vie des gens, un milieu où des gens passionnés seraient avides de transmettre leur passion.

Inutile de préciser que nos sociétés réelles en France, en Italie, aux États-Unis et ailleurs sont loin de cette société utopique.
Citons quelques différences pour analyser ensuite les raisons pour lesquelles la question du bizutage se présente de façon très différente dans les sociétés réellement existantes et dans la société utopique.
Dans les sociétés réelles, la politique de santé est décidée mollement. On choisit de promouvoir ce qui semble le mieux en ne heurtant ni les habitudes de certains ni les intérêts de quelques autres.
Les décisions résultent de rapports de force flous et mous. Il n’y a pas de débats de fond faisant appel à des publications de qualité, il y a des conflits de personnes ou des insultes ou des menaces ou des allusions obliques. En tout cas, il n’y a rien qui soit susceptible de susciter une mobilisation de tous solidaires de tous les autres.

Quand un étudiant sera accueilli en première année de médecine dans le pays utopique, ce sera par des enseignants passionnés, ouverts sur le monde, ayant l’habitude et le goût des échanges ; ils auront plein de choses à lui dire. Ils se comporteront en gens intelligents militant pour la santé publique accueillant quelqu’un voué à occuper une place de militant intelligent dans un système efficace.
Dans nos sociétés réelles, faute de pouvoir proposer un accueil plein de vie et de dynamisme, les enseignants laissent chaque nouvelle promotion être accueillie par la précédente. Et ces promotions auxquelles rien n’a été dit, rien n’a été insufflé comme intérêt pour la santé publique remplissent ce vide par du « n’importe quoi ». Le bizutage est-ce « n’importe quoi » ? Il est souvent violent (parfois violant), agressif, humiliant, misogyne, homophobe etc. mais il est, d’abord et avant tout, ce qui vient à la place d’un accueil intelligent orienté vers la santé publique.


par Jean-Pierre Lellouche, Pratiques N°82, août 2018

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