Même plus peur !

Sylvie Cognard
Médecin retraitée

Peur de faire grève, parce que peur de se faire virer, peur de ne pas pouvoir boucler la fin du mois, peur de ne pas pouvoir rembourser les crédits…
Peur de manifester parce que peur de se faire taper dessus, de se faire gazer, d’être gravement blessé comme Maxime qui a eu la main arrachée, voire de se faire tuer comme Rémi…
Peur de dire ce que l’on pense, de se faire ridiculiser, éjecter, bafouer, censurer.
Peur de se syndiquer…
Ces libertés, celle de faire grève, celle de manifester, celle de s’exprimer, celle d’appartenir à un collectif, seraient-elles en train de disparaître ?
En usant à tout bout de champ de la peur sur ses « sujets », l’État autoritaire serait-il en passe de devenir totalitaire ?

La grève de la faim victorieuse des soignants du Centre hospitalier psychiatrique du Rouvray est exemplaire : ils réclamaient simplement de pouvoir faire leur boulot correctement et d’accueillir leurs patients dignement. Pour cela, ils n’ont pas eu peur de mettre leur santé et leur vie en danger. Le soutien des autres salariés et de la population les a accompagnés dans leur détermination. La surdité du gouvernement n’est-elle pas insensée pour qu’il faille en arriver là !

En son temps, Margaret Thatcher avait maté la grève des mineurs, la répression entraînant la mort de trois grévistes, 20 000 blessés et l’arrestation de 11 300 manifestants. Par son intransigeance, elle avait laissé mourir Boby Sand de sa grève de la faim en prison.

Notre gouvernement n’en est pas encore arrivé là… pour l’instant il ne laisse mourir « que » des réfugiés dont on retrouve parfois les corps sans vie dans la neige ou le lit des torrents… Il intimide les syndicalistes, il use de la police et d’armes dangereuses pour évacuer les occupants des ZAD, il place en garde à vue et juge des lycéens pour avoir occupé leur établissement, il use de propagande dans les médias à sa botte, il proclame des lois rendant coupables les lanceurs d’alerte, pendant qu’il continue d’autoriser les produits qui détruisent notre environnement. Il juge les Justes pour délit de solidarité, il refuse d’accueillir dans ses ports le navire Aquarius. Les réfugiés, les syndicalistes, les occupants sont traités comme des « Riens ».
Les soignants, même s’ils sont méprisés, ne peuvent pas être tout à fait considérés comme des « Riens », ils ont une aura et le soutien de la population. Sans doute parce que les citoyens sont tous concernés et sensibilisés à ce que défendent les soignants, alors là, nos gouvernants n’ont pas osé…
Pas encore ? L’altérité, la honte et la mauvaise conscience ne font pas partie des affects de ces dirigeants totalement « désensibilisés », sourds et aveugles…

Face à la destruction de la protection sociale et du bien commun, comme les salariés du centre hospitalier du Rouvray, n’ayons plus peur. Il nous faut trouver d’autres armes pour nous faire entendre. Pourquoi les personnels des EHPAD n’iraient-ils pas déposer leur récolte de couches souillées de la nuit devant les préfectures ou le ministère de la Santé ? C’est une idée, on peut en trouver d’autres avant que de n’avoir pour seul recours la grève de la faim, cette arme ultime et dangereuse de résistance et de désobéissance.
Parce que, « quand tout sera privé, nous serons privés de tout ».


par Sylvie Cognard, Pratiques N°82, juillet 2018

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