Isabelle Canil
Orthophoniste
La ville pavoisait et se recouvrait d’affiches éclatantes. Des guirlandes se tendaient d’un mur à l’autre au-dessus des rues. L’air diffusait un je-ne-sais-quoi de festif, prélude aux moments de communion où tout un peuple, par consentement mutuel, décide d’être heureux et d’oublier ses vieilles chicanes.
Des groupes bruyants et joyeux se formaient un peu partout, mais tous progressaient vers une place centrale sur laquelle on avait érigé un haut chapiteau coloré. J’avais mon mal de crâne et je ne savais plus ce qu’on fêtait. Un jeune homme courait en fendant la foule.
— Hé Pierrot ! Où cours-tu ?
— Je vais là-bas !
— Mais quoi faire ?
Pierrot stoppa net :
— Ben, tu débarques toi ? Ah c’est encore ton crâne… c’est la semaine folle de la vacciole !
— Ah oui…
— Et si tu te dépêches, comme c’est le premier jour, ils font des offres de lancement. Regarde, dit-il en sortant un prospectus froissé de sa poche : j’ai une invitation au stand du vermixion, ils peuvent me faire la piquouille du Bernagor gratos, et si je mets un euro, j’ai la gervoise assermentée en prime.
Et sortant un autre papier chiffonné d’une autre de ses poches :
— Et là, vois-tu, il faut gratter, j’ai gratté, et j’ai Bon pour une piquouille de sulfatrop. Elle est pas belle la vie ? Allez je t’emmène !
Et Pierrot m’embarqua. Tout en marchant, il m’expliquait :
— Je connais bien les organisateurs alors je vais te donner des tuyaux : aujourd’hui, c’est le premier jour, ça vaut le coup, y’aura plein d’offres promotionnelles. Mardi mercredi jeudi, ce sera surtout pour les rupins, tu vois, qui veulent pas trop se mélanger dans la foule. Mais on s’en fout on leur laisse, parce que là ça coûtera plein pot. Ce sera genre : Mesdames pour un an de celluliotte de qualité, une piquouille de fermire ! le ra-fermir de rappel sera offert… Ou alors pour les hommes : si le bedon vous pèse, soyez à l’aise, et à dieu plaise la piquouille de gringalèse !
Pierrot continuait :
— Tout ça, c’est pour les riches. Mais nous, dès vendredi, on aura des rabais sur les piquouilles de BCBG., de virpapille, de pétracloque, que sais-je encore… de bourgole, de philozémo, de patite A, et si tu prends le B, tu peux même te faire tous les patites jusqu’aux V, j’te jure ! Et samedi… ah je te raconte pas le samedi ! Va y avoir les soldes ! Tous les invendus de la semaine, on les aura pour trois fois rien ! J’ai un pote au stand des djengovirus, il m’a donné des conseils pour éviter les contrefaçons… Ben oui, y’en a toujours qui veulent te refourguer des copies, tu te fais leur piquouille, tu te crois intouchable et que dalle… tu passes l’hiver au pieu… Mais moi ils m’auront pas ! Et y’a aussi de vrais filous ! Ils te mettent un adjudant dans la piquouille, toi tu le sais même pas, et tu deviens addict, tu te mets à marcher au pas et tout, tu t’achètes des uniformes !
Pierrot me donnait le tournis, j’avais du mal à le suivre, un foret vrillait mon pauvre crâne. Le chapiteau était en vue, de la musique s’en échappait, partout des camelots haranguaient la foule.
— Pierrot, lui dis-je, et pour mon crâne, peux-tu me trouver quelque chose ? Ils auraient pas une piquouille pour moi ?
— Ton crâne ? Tu sais quoi, j’ai des copains qui sont laborieux chez Nasifaux, les frères Kreutz, Phil et Jacob. C’est pas qu’on ait gardé les vaches ensembles, mais on était au même bahut. Je suis sûr qu’ils vont te trouver quelque chose ! Tiens, je te fais une petite bafouille, tu leur donneras de ma part…
Alors docilement, je pris la lettre de mon ami Pierrot, bien aise qu’il m’écrive un mot.
