Dominique Dupagne [1]
Médecin généraliste
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- Conséquences et enseignements à long terme de la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1.
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La campagne de vaccination contre la grippe pandémique (A/H1N1) de 2009 est à l’origine d’un scandale financier qui se compte en centaines de millions d’euros. Ses retombées durables sur l’image de la vaccination en général sont tout aussi graves. Elle a permis par ailleurs de mettre en évidence l’impact désastreux du néotaylorisme sanitaire.
La naissance d’une crise de confiance
La campagne de vaccination contre le virus grippal A/H1N1 pourrait constituer une étape importante dans la crise de confiance des Français envers les recommandations vaccinales. Face à cette crise qui semble durable, le discours dominant pointe du doigt le Web et les théories « complotistes » qu’il véhicule. Il me semble que c’est plutôt l’accumulation de mensonges officiels pendant l’hiver 2010 qui a redonné du crédit aux vieilles théories antivaccinales. La santé publique française est restée figée dans son approche paternaliste traditionnelle : commencer par élaborer une stratégie sanitaire avec des experts (plus ou moins libres de conflits d’intérêts), puis fabriquer et fournir au public une information qui soutient cette stratégie, quitte à prendre quelques libertés avec la réalité scientifique. Ce comportement aboutit à de « pieux mensonges » par exagération ou omission, mensonges qui seraient justifiés par l’importance de l’objectif : qu’importe la justesse des arguments, puisque c’est pour une bonne cause.
Une telle attitude est-elle encore tenable au XXIe siècle, alors que chacun peut accéder aux données sources et constater la fragilité des thèses officielles ? En contrepoint du discours catastrophiste de la DGS (Direction Générale de la Santé) et du ministère, des voix s’étaient élevées dès l’été 2009 pour remettre en cause la gravité de la pandémie grippale et donc l’intérêt d’une vaccination de masse. Bien que ces voix discordantes se soient appuyées sur des données solides, la réaction de la DGS, de la ministre et des experts fut caricaturale : diabolisation des critiques, quelle qu’en soit la pertinence, et usage immodéré de la VBM (Vehemence Based Medicine [2]).
À l’automne 2009, j’ai été, comme beaucoup de confrères généralistes, débordé en consultation et au téléphone par des patients ne sachant plus à quel saint se vouer : Roselyne Bachelot agitait le spectre de la mort prochaine de dizaines de milliers d’adultes et d’enfants, alors que les antivaccinaux annonçaient d’atroces complications liées au vaccin Pandemrix®. Je faisais partie d’un groupe de discussion en contact par e-mail avec des généralistes de l’hémisphère sud qui nous ont confirmé la modestie des conséquences sanitaires de l’épidémie à La Réunion ou en Australie. Nous avons alors décidé, entre généralistes « connectés » [3], d’éplucher le dossier scientifique de la morbi/mortalité grippale et de la vaccination contre la grippe.
Le fruit de cette recherche a été publié sur le site Atoute.org, sous forme d’une synthèse détaillée et sourcée [4]. Ce document était cosigné par 241 confrères, mais l’élément déterminant pour son crédit auprès du public et des médias a été sa neutralité : alors que pro et anti vaccinaux s’appuyaient sur la peur pour convaincre, nous avons décidé de ne pas répondre à la question posée dans le titre : « Faut-il ou non se vacciner contre la grippe ? » L’article démontrait que le risque de mourir de la grippe A/H1N1 était infime, et que les complications liées au vaccin ne pourraient être que tout aussi exceptionnelles. Face à ces deux options, chacun était invité à faire un choix personnel éclairé par la lecture des explications apportées, tout en étant rassuré sur l’infime probabilité d’avoir à souffrir de son choix, quel qu’il soit.
La diffusion de cet article a été explosive, dépassant rapidement le million de lectures. Un tel engouement pour une information pédagogique, mais complexe, qu’aucun support grand public n’aurait accepté de publier, démontre que quand la motivation est forte, la quête d’information du public le pousse vers des sources scientifiques et détaillées qu’il délaisse habituellement. Il s’agissait, à ma connaissance, de la première réussite médiatique de l’expertise collective en médecine générale face à un sujet d’actualité. Les journalistes étaient à l’époque encore très influencés par le discours officiel et les imprécations des virologues et cet article n’a eu aucun écho dans les médias. Le moteur de recherche Google, qui ne tient quasiment aucun compte de l’argument d’autorité, a été un moteur majeur de la diffusion de ce document en le classant dans les premiers résultats sur la requête « vaccin grippe ». On oublie parfois que ce géant du Web aux pratiques si contestables est aussi un acteur majeur de la démocratie sanitaire.
Une fois la mascarade terminée, les journalistes ont constaté amèrement qu’ils avaient été manipulés par les autorités sanitaires et les experts inféodés aux industriels du vaccin. Ils n’ont pas été les seuls ! La réalité s’est progressivement imposée à tous, pour devenir évidente au printemps : cette épidémie grippale a été la moins meurtrière de ces trente dernières années !
Il est rare qu’un public profane puisse évaluer l’impact une stratégie sanitaire. Pourtant, c’est souvent à partir de ce qu’ils voient, de ce qu’ils constatent eux-mêmes, que les patients adhèrent massivement ou non aux nouveautés médicales. Qui se souvient aujourd’hui des débuts difficiles de la vaccination ? Les vaccins n’ont acquis la confiance du public qu’avec l’éradication aussi efficace que spectaculaire de la diphtérie et du tétanos, concomitante de l’obligation vaccinale apparue en 1936, puis par celle de la poliomyélite dans les années 50, malgré des accidents vaccinaux initiaux [5]. Les opposants à la vaccination sont alors terrassés par l’évidence que chacun pouvait constater de ses yeux : les nouveaux cas de diphtérie ou de poliomyélite ne concernaient plus que les enfants ayant échappé à la vaccination. L’ampleur de ces succès a fortement et durablement soutenu l’image positive de la vaccination pendant 40 ans et ruiné le crédit des antivaccinaux.
Une première faille dans ce climat de confiance généralisée survient en 1994. Philippe Douste-Blazy lance une campagne scolaire de vaccination contre l’hépatite B, soutenue par une forte exagération du risque en population générale. Des doutes sérieux et fondés sont alors émis sur le rôle des lobbies industriels dans la précipitation de cette campagne et la peur distillée par les experts et les médias pour soutenir la vaccination des adultes, y compris les personnes âgées ! Quatre ans après, une publication (falsifiée et rétractée depuis) associe des cas d’autisme au vaccin contre la rougeole. Le doute naît alors au sein d’une génération de parents qui n’ont jamais croisé de diphtérie, de polio ni de rougeole. L’ennemi avait disparu, alors que le vaccin, acte médical intrusif qui faisait pleurer leurs enfants, devenait un objet de suspicion.
Avec la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1, les Français sont passés du doute à la certitude : les autorités sanitaires leur ont menti, sciemment, pour soutenir une campagne de vaccination d’intérêt douteux. Si le principe de précaution pouvait à la rigueur expliquer l’ampleur des commandes de vaccins et les mises en garde alarmistes jusqu’en décembre 2009, ce n’était plus le cas début 2010. En s’obstinant à distiller la peur pour convaincre et à travestir la réalité, les autorités sanitaires ont sapé leur crédibilité. Dès le printemps, il n’y avait plus de controverse possible : ceux qui annonçaient une épidémie bénigne avaient eu raison contre des autorités empêtrées dans un scandale scientifique et financier sans précédent. Face à l’évidence qui s’imposait semaine après semaine, la ministre et la DGS se sont pourtant obstinées à promouvoir la vaccination jusqu’à la fin de l’épidémie. Quant à l’innocuité de la vaccination, martelée par ces mêmes autorités sanitaires, elle a été contredite par les cas, heureusement exceptionnels, de narcolepsie attribués au vaccin Pandemrix [6] et notamment à son adjuvant huileux.
Bien que cette perte de confiance n’ait jamais été réellement mesurée, il me semble évident qu’elle est en grande partie responsable de la remise en cause globale des vaccinations. Mentir pour convaincre est non seulement malhonnête, mais c’est aussi une pratique dangereuse : l’attitude irresponsable de la DGS, de la ministre et de ses conseils conduit désormais certains parents à soustraire leurs enfants de vaccinations indispensables.
Réintroduire le taylorisme dans la gouvernance sanitaire augmente les coûts et diminue la qualité des soins
Cette opération scandaleuse a eu tout de même un mérite : celui d’avoir mis à nu les effets pervers du néotaylorisme sanitaire. En 1911, Frederick W Taylor prônait une organisation scientifique du travail, découpé en tâches unitaires et encadré par des procédures élaborées par la hiérarchie. Cette approche managériale mécaniste fondée sur la défiance, qui déniait toute capacité d’initiative aux agents de terrain, s’est finalement montrée délétère dans l’industrie où elle a été abandonnée. Paradoxalement, le taylorisme semble pourtant de nouveau en vogue auprès les gouvernances sanitaires ; or nous manquions de situations expérimentales permettant son évaluation concrète. Avec la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1, nous disposons d’une situation idéale pour mesurer l’impact du néotaylorisme sur un objectif majeur de santé publique.
Revenons en arrière : depuis plusieurs années, les infectiologues redoutaient l’émergence chez l’homme d’une épidémie de grippe mutante issue des oiseaux. Cette crainte les avait conduits à préparer un plan de crise comportant une vaccination de masse qui aurait donc lieu dans un contexte de grande urgence. Ces experts avaient posé comme postulat l’incapacité des professionnels de santé à vacciner en temps utile soixante millions de Français. Ce postulat ne reposait sur rien de solide et négligeait les nombreux exemples historiques de dévouement extrême et constant des professions de santé, parfois au péril de leur vie, lors des grandes catastrophes sanitaires ou des guerres. Mais le taylorisme est justement fondé sur le dogme de l’incapacité des agents effecteurs à atteindre spontanément un niveau d’efficience optimal.
Les autorités sanitaires ont donc décidé d’organiser cette vaccination dans des gymnases, transformés en « vaccinodromes » et de réquisitionner des étudiants en médecine pour la pratiquer. Des procédures détaillées ont été écrites par des experts (qui n’avaient vacciné personne depuis longtemps) et mises en œuvre par les personnels administratifs également réquisitionnés dans les gymnases. La vaccination était découpée en étapes dignes d’un Jeu de l’Oie ! In fine, tout le monde a pu constater le résultat de cette stratégie réglée au cordeau : seuls quelques millions de Français ont été vaccinés, pour un coût colossal. Les sujets présumés les plus à risque, à savoir les personnes handicapées ou âgées ne pouvant se déplacer, n’ont pas pu été vaccinés.
Dès l’automne suivant, la vaccination contre la grippe saisonnière gérée par les professionnels de terrain a repris sa routine, sans coût additionnel significatif par rapport aux soins de base. Il est particulièrement intéressant d’observer la chaîne de solidarité, de coopération, de « débrouille », qui entoure tous les ans cette vaccination de millions de personnes âgées ou fragilisées par la maladie. Les médecins vaccinent à l’occasion d’une consultation pour un autre motif, à leur cabinet où à domicile. Les infirmières font de même ou organisent des tournées. Parfois, c’est le pharmacien ou le kinésithérapeute, voire un voisin, qui dépose le vaccin chez la personne isolée avant le passage du vaccinateur.
Tout cela se fait sans procédures, sans contrôles, sans surcoût significatif par rapport au suivi médical de routine. Cette activité coopérative spontanée fondée sur la compétence, la solidarité et l’adaptabilité, prouve tous les ans qu’elle fonctionne sans nécessiter le moindre encadrement.
La catastrophe fonctionnelle et financière de la vaccination organisée contre la grippe pandémique de 2009 démontre sans ambiguïté l’absurdité et le surcoût du néotaylorisme. Il est exceptionnel que l’effet délétère d’une stratégie de gouvernance soit aussi clairement mis en évidence.
Le scandale et l’échec de la vaccination contre la grippe A/H1N1 en 2009 ne sont pas liés à une précipitation face à l’urgence : ce plan était prêt depuis plusieurs années. La servilité des autorités sanitaires face aux industriels du vaccin a certainement joué un rôle important, mais ce fiasco est essentiellement dû à la défiance injustifiée envers les hommes et des femmes qui constituent le tissu sanitaire français.
Cinq ans après, cette leçon importante ne semble pas avoir été entendue, pas plus que la nécessité pour le ministère de la Santé de communiquer honnêtement vis-à-vis du public face aux grands enjeux de santé. La confiance ne se décrète pas, elle se mérite. La transparence et la sincérité la renforcent, l’opacité et le mensonge la détruisent.