L’important, c’est le projet

Contre les déserts médicaux, construire un exercice collectif de premier recours qui porte un projet au service de la population.

Didier Ménard
médecin généraliste

Dans le capharnaüm des propositions de solutions contre les déserts médicaux, il est difficile pour un citoyen, pourtant premier concerné, de s’y retrouver. Sa préoccupation échappe aux élus qui prônent la contrainte, et aux professionnels qui la refusent. Ceux qui parlent d’incitation font semblant de ne pas savoir que cela ne marche pas. Le débat entre médecins salariés et médecins libéraux resurgit, chacun défend ses avantages.
Les solutions sont connues : c’est l’exercice regroupé du premier recours. « Maison de Santé Pluriprofessionnelle », « Pôle de Santé », « Centre de Santé », « Structure d’Exercice Collectif », « Unité Sanitaire de Base », « Centre de Santé Intégré », tous ces vocables définissent un cadre d’exercice collectif du soin. L’essentiel n’est pas le statut juridique de la structure, ni les modalités de rémunération des professionnels, mais de savoir ce que l’on y fait. Sous ces appellations, on trouve tout et son contraire, de la polyclinique de médecins spécialistes au centre de santé communautaire, en passant par le cabinet de groupe de médecins ou de paramédicaux. L’essentiel est dans la nature du projet.
Se réunir pour construire ensemble, médecins, paramédicaux, pharmaciens, parfois travailleurs sociaux, plus rarement usagers de la médecine, un exercice collectif rompt avec le modèle dominant de l’exercice solitaire du soin : responsabilité individuelle, liberté totale d’installation. Celui-ci est condamné car il ne permet pas de s’adapter à l’évolution paradoxale de la médecine, dont les progrès ont transformé des maladies mortelles en maladies chroniques. Paradoxe, cette médecine biotechnologique de haut niveau ne peut elle-même empêcher les complications graves de ces maladies chroniques : l’accident vasculaire cérébral pour l’hypertension, la cécité et l’insuffisance rénale pour le diabète, les maladies neuro-dégénératives... Pas de pilule miracle contre ces complications, mais un arsenal d’actions de soins, de prévention, d’éducation, de résolution des problèmes sociaux, de prise en compte des facteurs culturels, d’accompagnement de la personne dans son parcours de vie. On ne peut plus exclure l’expertise par le malade de sa propre maladie. Et je défie un médecin ou autre paramédical, seul dans son exercice, d’être compétent pour organiser un tel parcours de santé. La réponse ne peut plus être exclusivement médicale, mais une réponse en termes de santé. Elle se construit, se façonne, dans le cadre d’un projet collectif. « Dis-moi quel est ton projet de santé et je te dirai si ton exercice collectif est en phase avec les besoins de la population ».
Cela sous-entend de nouvelles activités, de nouvelles perspectives, de nouvelles coopérations, de nouvelles compétences, de nouveaux regards sur sa pratique, et sur la santé d’une population. Il faut accepter de bouleverser les pratiques. Même si un acteur isolé désireux d’intégrer cette démarche collective, mais ne pouvant ou ne voulant pas quitter son cadre d’exercice habituel, peut y participer. Nous avons donc créé les « pôles de santé », organisant l’action collective sur un territoire. L’avenir est dans la santé, si l’on veut adapter sa pratique aux réalités exprimées dans nos cabinets médicaux. Les jeunes générations l’ont compris. Beaucoup d’entre eux souhaitent s’engager dans des projets professionnels où l’action collective permet d’agir et en construisant un parcours de santé avec les personnes malades.
Ce « projet de santé de l’exercice collectif » répond à des exigences nécessaires car utiles à la population : permettre l’accès aux soins pour tous, proposer des solutions face aux cas complexes du quotidien, partager les savoirs et construire des coopérations sans hiérarchie entre acteurs de soins, rapprocher le sanitaire du social et, dès que possible, offrir aux personnes malades une place importante dans le dispositif. En s’émancipant des représentations négatives concernant les autres acteurs qui agissent sur le même territoire. Bref, lever la tête et puiser dans ce projet les ressources pour exercer joyeusement son métier. Ne pas tout réinventer, car la médecine qui respecte l’autre, l’humanisme au cœur de nos pratiques, le partage des savoirs existaient bien avant que le monde de la médecine technologique n’impose son modèle. Le « projet santé » se construit progressivement, étape par étape, avec de la patience, du dialogue, et l’aide de ceux qui en ont déjà réalisé. Mais, surtout, en croyant aux valeurs qui fondent notre engagement dans la santé au service de la population.


par Didier Ménard, Pratiques N°60, février 2013

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