Maxime Catrice, Anne-Gaëlle Provost, Laurenne Lhuillier, Mathilde Andlauer, Thomas Tarjus.
Propos recueillis par Sylvie Simon
Pratiques : Vous avez choisi de participer à la création d’une maison de santé au Franc-Moisin, pourquoi ce choix d’exercice ?
Maxime : Le hasard des stages d’interne m’a conduit au Franc-Moisin dans le cabinet de Didier Ménard pendant mon SASPAS en 2008 (stage d’interne en médecine générale pendant lequel on consulte en autonomie chez différents maîtres de stage).
Le vendredi midi, on allait souvent manger dans une association sur le quartier dont il était (et est toujours) le président. Dans cette association, il y avait des médiatrices en santé. Je n’avais jamais vu ça, elles m’expliquaient ce qu’elles faisaient : entretiens de médiation individuels pour aider les usagers dans leurs démarches (accès aux droits Sécu, problèmes de retraite, de logement, démarches sociales...), ateliers collectifs de prévention et de promotion de la santé.
À cette période, l’association réfléchissait à son avenir, sous l’impulsion de sa directrice, Hélène. Elle portait un projet d’accompagnement social, mais aussi de prévention et de promotion de la santé, dans le cadre d’une démarche communautaire. Par ailleurs Didier, malgré son dynamisme, commençait à réfléchir avec son collègue à un petit départ vers sa future deuxième vie : la retraite. Conscient du fait qu’il ne voulait pas quitter la cité sans laisser de suite et que l’association ne pouvait pas faire de la promotion de la santé si la démographie médicale du quartier s’appauvrissait, on a commencé à entendre les mots : maison de santé et centre de santé, associer les médecins et les médiatrices, éducation thérapeutique du patient...
Puis, j’ai été (pour mon dernier stage d’interne) à l’hôpital en médecin interne. Mes co-internes généralistes étaient deux copains : Thomas et Ilyess. Je leur ai parlé de tous ces projets, et nous voilà un soir en réunion au Franc-Moisin, à parler éducation thérapeutique du patient diabétique. L’idée était de faire un binôme entre une médiatrice en santé et un autre professionnel (médecin ou diététicien ou éducateur sportif). Ce projet a été notre premier projet commun. Ilyess a fait sa thèse dessus, avant de s’envoler vers la province, combler d’autres « déserts médicaux ». Thomas a lancé le programme d’ETP avec les médiatrices, et s’est investi dans le projet global. On réfléchissait à de nouvelles recrues et on a donc appelé Mathilde, avec qui nous voulions nous installer depuis l’internat, car d’une part c’était une femme, et d’autre part on se disait que ses compétences en gynécologie seraient bien utiles...
Lors d’une discussion avec d’autres internes, en parlant d’un atelier collectif des médiatrices, cela a donné envie à Laurenne d’en savoir un peu plus. Elle a donc demandé à être en stage chez Didier au semestre suivant... et rebelote ! Une nouvelle recrue pour le Franc-Moisin !
Anne-Gaëlle : Lorsque je suis revenue en Ile-de-France c’est tout naturellement que je me suis tournée vers la Seine-Saint-Denis, le « 9-3 », territoire dynamique, pour rechercher du travail. J’y avais déjà des contacts pour y avoir été interne et y avoir remplacé, et je gardais bien l’image d’un département cumulant, il est vrai, les difficultés, mais aussi d’un endroit très dynamique, constituant bien souvent une sorte de laboratoire pour expérimenter des choses nouvelles.
Évidemment, lorsque j’ai eu vent d’un projet au Franc-Moisin avec Didier Ménard, je me suis dit « banco » (sic !). Je suivais de loin l’actualité du SMG pour avoir participé à un de ses congrès et je savais qu’il était président du SMG... donc porteur de valeurs dans lesquelles je pourrais me reconnaître...
Puis j’ai eu des détails plus précis du projet, et ce qui m’a tout de suite séduite, c’est qu’il était porté certes par Didier Ménard, mais aussi et surtout par une association de quartier, chouette !
Pour moi, cela a tout de suite fait écho à une expérience très importante que j’avais eue à Bordeaux lors de ma « vie » précédente. En effet, j’avais travaillé là-bas pour un petit centre de planification associatif, implanté dans un quartier populaire de Bordeaux et j’avais beaucoup aimé... Je voyais beaucoup de parallèles entre le « CACIS » de Bordeaux et l’ACSBE (Association Communautaire Santé Bien Être) du Franc-Moisin : toutes deux des associations, n’ayant pas peur d’oser des choses sur des quartiers « en difficulté » (avec plein de guillemets !!), et qui proposaient de faire travailler ensemble des médecins et à Bordeaux des éducateurs-animateurs, au Franc-Moisin des médiatrices... Curieux, non ?
J’avais adoré le CACIS... c’est sûr j’allais adorer l’ACSBE !
Finalement, un peu de hasard, mais ce qui nous a tous fédéré, c’est vraiment le fait de travailler en équipe, avec un projet de santé globale.
Et là, c’était parti...
Racontez-nous votre participation à ce projet.
Maxime : Lors des réunions pour définir le projet, une des choses importantes était que nous pouvions nous appuyer sur l’expérience de l’ACSBE, qui existe sur le quartier depuis 1992. Cette association connaît bien les difficultés des habitants. Elle a un Comité Habitants Usager Citoyen (CHUC) qui a longuement réfléchi au projet. Les médiatrices ont fait des déambulations sur le quartier pour recueillir les besoins et attentes des habitants.
Nous avons eu la chance d’avoir Delphine (chargée de projet) qui s’est occupée avec Hélène des aspects techniques et réglementaires. Elles nous ramenaient les pieds sur terre, et ont organisé tous ces moments de rencontre indispensables à la maturation du projet.
La première étape, et la plus importante, a été de rédiger le projet de santé : on parlait de maison de santé de proximité, car nous ne savions pas quel serait le montage juridique de la structure, par contre nous savions ce que nous voulions y faire. Nous avons réappris la différence concrète entre santé et soin : nous voulions faire autre chose que du soin, autre chose que des consultations les unes après les autres, essayer d’apporter plus.
Anne-Gaëlle : Nous sommes chacun arrivés à des étapes différentes du projet, mais cela a été très agréable, car il n’y a pas eu de différence entre les « anciens » et les « nouveaux » et cela a été très facile de s’intégrer !
Chacun a eu son rôle pour définir le projet de santé, certains ont plus travaillé sur l’aspect financier, d’autres sur l’organisation des plannings, l’organisation des locaux, des cabinets... Tout le monde a eu son mot à dire, jusqu’à la couleur des murs ! Une chose est sûre, il fallait toujours faire des ponts entre ces différents aspects, en adaptant les exigences de chacun avec les réalités économiques.
Vous êtes salariés, qu’est-ce que ça change pour vous, par rapport au paiement à l’acte ?
Pour nous, l’avantage principal du salariat est de ne pas s’occuper de la gestion et de la comptabilité, de l’aspect purement administratif. Ce sont des personnes plus compétentes que nous qui le font pour l’association.
En même temps, nous ne sommes pas totalement déconnectés de la notion de paiement à l’acte, car nous sommes une structure associative, donc un peu « fragile » et qui a forcément besoin d’argent pour fonctionner. Même si l’équilibre financier ne repose pas que sur les consultations, je crois que nous sommes bien conscients quand même que pour les finances de l’association, il faut bien qu’on fasse des actes... heureusement bien entendu du côté de la direction, il n’y a aucune pression par rapport à ça !
Le montage financier a été fait à partir de prévisions sur le nombre de consultations par heure. Il nous a fallu aussi décider de la répartition des consultations (sur rendez-vous/sans rendez-vous) et du temps consacré au « hors soin », mais cela a été décidé ensemble en essayant de trouver un équilibre entre un temps de consultation correct et des contraintes économiques bien réelles. C’est aussi ce que j’apprécie dans le projet, on est quand même dans une forme de réalisme, les porteurs du projet ont les pieds sur terre (je pense notamment à Hélène, Delphine, Jeannick) ! En ce qui concerne la délicate question du salaire des médecins, il faut être réaliste : un des objectifs de la Place Santé est d’attirer des jeunes médecins, donc le salaire ne doit pas être totalement déconnecté de ce qui se pratique ailleurs dans le département, mais en même temps, il ne faut pas mettre en péril la structure et promettre monts et merveilles...
Être salarié, c’est aussi avoir du temps pour des activités hors soins : réunions de médecins pour échanger sur nos pratiques, partager nos difficultés ou inquiétudes, partager nos savoirs, réunions avec les médiatrices, ateliers collectifs de promotion de la santé, rencontres de partenaires sur le territoire, réunions à l’Atelier Santé Ville, travail au sein du pôle de santé (avec les infirmières du Franc-Moisin et un autre cabinet médical).
Notre projet de santé comprend aussi la formation des étudiants (externes et internes), ce qui nous permet de nous remettre en question en permanence, de transmettre notre savoir-faire. C’est aussi un clin d’œil à ce qui nous a fait venir sur le quartier...
Après je trouve que cette notion de médecin salarié est encore assez « mal vue ». Je pense entre autres à la couverture d’une revue médicale : « Le virus du salariat » ! Vite il faut l’éradiquer ! ou encore à une réflexion d’une secrétaire d’un autre cabinet : « Vous, les fonctionnaires ». J’ai toujours l’impression qu’il faut se justifier... C’est comme si on ne pouvait pas, dans l’esprit de beaucoup de gens, être généraliste et salarié, alors qu’on trouve cela normal pour des médecins hospitaliers. On n’a rien à gagner à opposer libéraux et salariés... Un projet peut avoir les mêmes objectifs et être porté ici par des salariés, là-bas par des libéraux.
Quelles sont les difficultés de gestion d’une maison de santé ?
Maxime : Notre projet de santé est global. Nous souhaitons faire des consultations dans lesquelles nous répondons à la demande du patient et nous essayons d’y ajouter de la prévention, de l’éducation à la santé, de la promotion de la santé. Notre équipe est variée, et ce pour essayer de répondre à ces objectifs : cinq médiatrices, une musicothérapeute, une psychologue, deux secrétaires médicales, une assistante de gestion, une codirectrice spécialiste en santé communautaire, une chargée de mission en santé communautaire... Les ateliers de l’association essayent de répondre également aux besoins de la population. Ils sont animés essentiellement par les médiatrices : café santé, bien être ensemble (discussion sur un thème de santé), cuisine, estime de soi, ETP...
Pour toutes ces activités gratuites, il faut chercher des financements. Les nouveaux modes de rémunérations en financent une partie. Par ailleurs, nous faisons le pari qu’en accompagnant les personnes dans leurs démarches sociales, nous améliorerons leur santé au sens OMS du terme ; et que si leur situation sociale s’améliore, elles seront plus disponibles pour prendre en charge leur santé.
L’essentiel de la rémunération des médecins est tout de même basée sur l’acte, et l’équilibre financier nécessite donc de faire des actes : une consultation toutes les vingt minutes en rendez-vous, une consultation toutes les quinze minutes sans rendez-vous., même si c’est en contradiction avec notre projet de santé. Du coup, on est souvent en retard, parce qu’on est tous incapables de tenir le rythme, on parle beaucoup avec les patients... Alors on rêve du jour où on pourra faire des consultations de trente minutes. On nous répondrait qu’il faut bien les voir tous ces patients qui ont besoin de consulter. On rétorquerait qu’on préférerait leur montrer que parfois, ils n’ont pas besoin de nous. Mais pour les rassurer sur leurs capacités à faire sans nous, il en faut du temps, alors... que faire ?
On espère que la période d’évolution sur les modes de rémunérations des médecins va permettre de mettre en valeur cette notion : faire moins (d’actes) mais les faire mieux. Réorganiser, recentrer le rôle du médecin : prévenir, guérir si possible, mais ne pas être gestionnaire, comptable, standardiste, bricoleur...
C’est tout l’intérêt du développement des maisons de santé, des pôles de santé et des centres de santé. Dans toutes ces structures de soins de premier recours, il y a une réorganisation des rôles des uns et des autres qui permet d’être plus efficient.
Que pouvez-vous nous dire sur le ressenti actuel de cette expérience ?
Un an après l’ouverture de la Place Santé, nous pouvons tous les cinq dire que nous nous sentons épanouis dans notre travail et fiers de participer à cette aventure.
Si c’est le projet qui nous a séduits au départ, c’est la relation avec les habitants qui nous donne encore plus de plaisir et d’envie de continuer !
Alors, bien sûr, il nous reste de nombreux projets à développer... Nous n’arrivons pas encore à participer autant que nous le souhaiterions aux actions de prévention et de promotion de la santé, par manque de temps. Il est vrai que la mise en place de la structure, les difficultés d’organisation, nous ont pris énormément de temps cette première année. Mais nous restons motivés, avec toujours pleins de projets à mettre en œuvre, et toujours pleins d’idées nouvelles !