Construire des maisons de santé

S’investir dans un projet de Maisons de Santé Pluriprofessionnelle, c’est s’inscrire dans une démarche de co-construction avec des élus politiques et l’Agence Régionale de Santé.

Daniel Coutant,
médecin généraliste

Les Maisons de santé pluri-professionnelles (MSP), telles que prévues par le Code de la santé publique, reposent d’abord sur un contenu. À partir d’un cahier des charges a minima [1], les professionnels de santé concernés doivent se regrouper autour d’un « projet de santé », dans lequel ils s’engagent à assurer la permanence des soins, à développer un exercice coordonné en interne et en externe, à s’intéresser à la prévention et à s’investir dans la formation des étudiants.
Si les professionnels ont déposé un « projet de santé », des subventions (État, Région...) sont possibles pour une mairie, une communauté de communes pour la construction des locaux, dont les professionnels seront locataires [2]. Dans leur principe, les MSP restent des « entreprises » libérales avec paiement à l’acte pour les soins [3], même si rien n’y interdit un exercice salarié. Néanmoins, on peut dire que dans les projets de MSP, on retrouve le principe de médecine globale prôné par le SMG dans les années 80, avec comme support les USB [4].

Les MSP, pas n’importe comment...
Si le concept « travailler ensemble, sans se limiter aux soins » est déjà une réalité pour un certain nombre de professionnels de santé, s’il peut être attractif pour de jeunes médecins voulant exercer « autrement », bâtir une MSP est quelque chose de complexe. S’investir dans un projet de MSP, c’est s’inscrire dans une démarche de co-construction avec des élus politiques et l’ARS (Agence Régionale de Santé), une démarche totalement nouvelle pour les soignants... qui prend beaucoup de temps et où les finalités poursuivies par les uns ou par les autres ne sont pas forcément les mêmes, malgré l’adhésion déclarée par tous au « projet de santé ».

Une relation à trois, professionnels de santé, Agence Régionale de Santé, élus...
Les professionnels de santé sur le terrain font déjà beaucoup de choses. Qu’ils soient médecin, infirmière, pharmacien..., ils soignent, donnent des conseils, font du lien social. Pour concrétiser le projet de santé, il est bon d’abord de valoriser ce qui existe déjà, tout en faisant comprendre que pour aller plus loin, il faudra peut-être y mettre de la méthode, s’ouvrir aux autres, partager les compétences... L’ARS ne peut pas exiger tout, tout de suite ni occulter la question des moyens (rémunération de la coordination, de la prévention...). Bien souvent, les soignants réunis autour d’un projet ne constituent pas au départ un groupe homogène. La difficulté à trouver des remplaçants, les départs en retraite, l’étroitesse des locaux font que des professionnels de santé installés depuis des années sont réceptifs à l’invitation d’un maire à réfléchir avec eux à l’offre de soins sur la commune... de là à parler de travail en équipe, de partage des compétences, de prévention... En matière d’offre de soins de premier recours, en France, on part de loin ; sachons alors apprécier (et respecter) l’intérêt (même sans engagement) d’un médecin de la cinquantaine passée, qui pourrait atteindre la retraite sans se poser de questions [5] ; n’oublions pas non plus que pour travailler ensemble, il faut commencer par apprendre à se connaître, quelquefois même découvrir le métier de l’autre... Enfin, travailler à un projet de MSP prend beaucoup de temps, sur plusieurs années, un temps le plus souvent amputé sur les loisirs.

Pour les élus locaux, se préoccuper de l’offre médicale libérale est inhabituel. Sans caricature excessive, les travaux anciens de F. Bertolotto et M. Schoene [6], concluant que pour les maires, « la santé c’est l’affaire des médecins et de la Sécurité sociale » ne sont pas obsolètes. La MSP est, pour un élu, souvent une découverte et découverte ne signifie pas adhésion ! Très vite, la préoccupation de concrétiser la MSP peut devenir la priorité. L’énergie des uns et des autres se trouve alors canalisée vers le projet architectural aux dépens de l’investissement nécessaire à l’élaboration du contenu.
L’ARS, elle, est à la disposition des élus et des professionnels ; elle orchestre le tout en validant le « projet de santé ». Dans ce long processus, de la motivation des personnes en responsabilité, de leur disponibilité pour s’imprégner du terrain, de leur souci d’associer les autres acteurs (professionnels, organismes de protection sociale, instances locales...) à la réflexion et à la décision dépend la dynamique « maison de santé » et la défense de son contenu (réelle coordination des soins...).

Éviter le n’importe comment ?
Les professionnels impliqués ont besoin d’être aidés pour l’élaboration du projet, puis d’être accompagnés pour le négocier et bien le défendre. Pour l’attribution d’une aide, il faut une volonté politique et des moyens, les deux étant liés. Un projet peut échouer si un maire ne fait pas preuve d’initiatives. Il n’est pas rare de trouver des élus qui affirment « qu’ils ne vont quand même pas donner de l’argent à des médecins » [7] !
Une fois le principe de l’accompagnement retenu, il reste à préciser par qui. Le montage d’une MSP constitue un marché et mettre un peu d’éthique dans des bureaux d’études ne serait pas inutile. Sur un court délai, il leur faut parfois amener au pas de charge des professionnels, qui découvrent tout, à adhérer à un « projet de santé » et même à s’engager très tôt pour des locaux. On peut comprendre que des professionnels hésitants ou qui n’ont pas pu répondre dans les temps, se retrouvent hors circuit ou que d’autres aient pu être attirés par des facilités annoncées, mais loin d’être la réalité. Pour cet accompagnement, il est donc indispensable de s’appuyer sur les pairs, en dehors de tout corporatisme, en se référant à l’excellent travail fourni par la FFMPS [8] et ses associations régionales, qui forment, en lien avec les ARS, des médecins facilitateurs. Élaborer le « projet de santé » ne se fait pas par injonction, une injonction qui peut parfois se confondre avec la valorisation du politiquement correct, risquant d’exclure ceux qui ont su promouvoir des pratiques innovantes. D’où l’importance de l’expression de tous les professionnels et pas seulement de la parole des docteurs. Avec la création des différentes URPS [9] et leur représentation dans les ARS, les changements sont sensibles. Ainsi, le débat sur la délégation de tâches dans les MSP y a gagné, en substituant à la notion de subordination celle de partage des compétences.
Pour que les jeunes médecins (et autres professionnels de santé) s’associent en toute connaissance de cause à des projets de MSP et s’y investissent, il faut qu’ils y soient sensibilisés au cours de leurs études, ce qui repose la question de la place de la médecine générale à la Faculté. Ils ont besoin d’être informés pour s’exprimer par rapport aux professionnels déjà en place et se positionner. Envisager une place pour les usagers [10] peut aider à éviter le n’importe comment. La loi ne parle pas des usagers dans la MSP (qui reste un outil libéral), mais quand les professionnels s’approprient le projet de santé, la participation des usagers n’est plus un sujet tabou. Sur le terrain et dans la durée, les usagers seront à la fois force de proposition et garants de la réalisation du « projet de santé ». Ce sont eux qui pourront rendre compte du vécu... Enfin, il y a un écueil majeur à éviter : que le rôle attractif d’une MSP pour les remplaçants et les successeurs ne se fasse pas aux dépens des communes ou des quartiers environnants avec des médecins non remplacés à leur retraite et des pharmaciens sans clients, d’où l’intérêt de raisonner « pôle de santé » [11].
Au total, des MSP, pas n’importe comment, pour avoir la garantie d’y développer le contenu souhaité (une offre de soins de proximité, un travail d’équipe, de la prévention, de la formation). Pour que ce soit possible avec un statut libéral, l’investissement demandé aux professionnels pour la conception et l’élaboration du projet d’ensemble (« projet de santé », démarches multiples, suivi architectural...) doit être reconnu. Il n’est pas possible de conduire de tels projets sans être aidés, d’avoir des leaders sans les accompagner, d’autant que la gestation s’étale sur plusieurs années.
C’est la non prise en compte de ces données qui risque de conduire au n’importe comment avec des professionnels qui subissent parce qu’engagés dans un processus ou qui jettent l’éponge faute d’être écoutés et aidés ; il se peut aussi que les structures de soins créées dans ce contexte, n’aient, au final, de MSP que le nom [12].
On sait qu’entre une minorité de pionniers et une minorité de docteurs opposés à toute évolution du système de santé, la majorité des médecins peut basculer d’un bord ou de l’autre. Les MSP peuvent en être une excellente illustration. De la position des élus locaux, de l’appui des ARS, de la place occupée par les professionnels dans l’élaboration d’un projet de MSP dépendra la position du curseur.

Le financement des soins, la limite des MSP ?
Dans les MSP, le financement des soins relève toujours du paiement à l’acte, sans obligation de tiers-payant, ni pour les médecins d’adhésion au secteur 1. De même, les financeurs n’interdisent pas les dépassements d’honoraires.
Ces principes énoncés, il faut reconnaître que les professionnels de santé qui s’engagent dans un projet de MSP, sans être pour autant des militants, sont plutôt des gens soucieux de l’accès aux soins. Est-ce que ce sont des médecins secteur 2 que l’on voit s’investir, sur leurs loisirs, pendant plusieurs années pour réaliser une MSP ?
À noter que, dans une MSP, rien n’interdit le salariat et le tiers-payant... il suffit d’avoir une structure porteuse. Deux entités peuvent même y cohabiter : des infirmières salariées d’un centre de soins infirmiers pratiquant le tiers-payant et des infirmières libérales payées à l’acte.
Les MSP étant un processus en construction, on peut imaginer des évolutions, à condition que ce souci d’accès aux soins soit une préoccupation partagée, avec beaucoup de pragmatisme, par les professionnels, les usagers, la Sécurité sociale et les organismes complémentaires.

Des repères pour l’accompagnement, le pilotage...
Trois principes pour accompagner des professionnels :

  • — Admettre que les professionnels du terrain ne partent pas de rien. Ils font du soin, un peu de prévention, de la formation continue, reçoivent des étudiants, ont quelques échanges entre eux... Il faut prendre le temps de les écouter, de découvrir des initiatives intéressantes, de valoriser ce qui doit l’être. Tout n’est pas à inventer pour un « projet de santé »... ce doit être dit et entendu... même si cela n’exclut pas l’acquisition de méthode et de compétences nouvelles pour exploiter le potentiel existant.
  • — Être bien conscients que les soignants travaillent souvent « à flux tendu », il convient de leur faciliter la tâche : animer les réunions au début, faire les comptes rendus... et les respecter.
  • — Raisonner d’emblée « projet de santé » en consacrant, les premiers temps, à chaque réunion, un temps d’échange sur les métiers respectifs, sur les pratiques, une condition indispensable à un travail d’équipe avec dossier commun tout en respectant les choix du patient.
    Tout cela contribue à la dynamique du groupe, à l’émergence d’un leader, à un esprit d’ouverture (qui fait qu’un projet reste ouvert à d’autres soignants partageant les mêmes objectifs).
    On se retrouve alors avec des professionnels qui se posent des questions, développent une réflexion sur leurs pratiques, sur leurs prescriptions, sur la place respective des différents soignants et qui s’impliquent sur le terrain. Il y a alors tous les ingrédients pour concrétiser le « projet de santé »... encore faut-il que des équipes faisant preuve d’initiatives ne soient pas vécues comme dérangeantes par l’environnement médical et non médical.

La responsabilisation des différents acteurs et l’obligation d’un pilotage
Ce pilotage relève des collectivités locales. Elles doivent se positionner clairement et dégager des moyens pour le montage du projet d’ensemble (en se référant à la Préfecture, à l’ARS, aux Régions et Départements pour des aides éventuelles...). On ne peut pas laisser les professionnels dans l’incertitude, ni leur faire porter une responsabilité qui ne relève pas d’eux. Pouvoirs publics, collectivités, usagers ont besoin des professionnels de santé, beaucoup d’entre eux (jeunes et moins jeunes) aspirent à un autre mode d’exercice que la génération qui les a précédés, sans faire dans la surenchère et en se retrouvant autour d’un contenu. Si les élus partagent ce point de vue, qu’ils s’engagent suffisamment tôt à en faciliter la réalisation.

Peut-on parler de changement de paradigme pour l’offre de soins de premier recours ?
Ce qui est certain, c’est que le processus de changement dépend des acteurs susceptibles de s’y intéresser. Les professionnels de santé bien sûr à qui on demande beaucoup, la Faculté et la place qu’elle accorde à la médecine générale, les institutions avec des degrés variables d’investissements selon les personnes (de l’investissement « militant » des chargés de projet à l’ARS dépend beaucoup l’avancée des projets), les élus plutôt bâtisseurs que concepteurs. Sans négliger ceux pour qui « hors de la médecine libérale », point de salut, se gardent bien de parler contenu, attentes des jeunes, soutien aux soignants en place et en oublient que les MSP sont des entreprises libérales ! Enfin, il y a les acteurs dont il serait utile de connaître le positionnement réel, à savoir les organismes de Sécurité sociale et les organismes complémentaires. Cela pourrait aider à répondre à la question ci-dessus « Le financement des soins, la limite des MSP ? »

Une maison de santé pluri-professionnelle (MSP) est une « personne morale constituée entre des professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens » (art L. 6323 — 3 du Code de la santé publique).
C’est au travers des objectifs et de l’organisation décrits dans le projet de santé que sera effectuée la distinction entre la structure et un simple regroupement de professionnels de santé en un même lieu, à l’instar des cabinets de groupe. À cette fin, le projet de santé témoigne d’un exercice coordonné entre tous les professionnels de santé de la structure ou participant à ses activités (service de soins infirmiers à domicile, réseaux, services divers) [...] Seules les structures pluri-professionnelles ayant élaboré un projet de santé peuvent se prévaloir de la dénomination de « centres de santé » ou de « maisons de santé » et bénéficier, sous réserve d’une contractualisation avec l’agence régionale de santé, des financements versés par l’ARS.

À travers le « projet de santé », les professionnels de santé s’engagent à :
— la permanence et à la continuité des soins ;
— des actions de santé publique et de prévention ;

— la coopération en interne pour une prise en charge globale du patient ;
— la coopération en externe (autres professionnels de santé et du secteur médico-social, établissements de santé...) ; 
— la formation initiale et continue avec accueil des étudiants.

Bibliographie
— Monter et faire vivre une maison de santé, Pierre de Haas, Éditions Le Coudrier.
— Maisons de santé, une urgence citoyenne, Dominique Dépinoy, Éditions de santé (voir Pratiques no 56 p. 94).


par Daniel Coutant, Pratiques N°60, février 2013

Documents joints


[1La MSP répond à un cahier des charges dressé par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) : présence d’au moins deux médecins généralistes et d’un professionnel paramédical (infirmier, kiné, diététicienne...)

[2Les subventions permettent d’abaisser le coût du loyer.

[3Le « projet de santé » permet aussi du paiement au forfait pour l’éducation thérapeutique et la coordination.

[4Unités Sanitaires de Base. Voir « Hier, une médecine pour demain : le Centre de santé de Saint Nazaire », Éditions Syros alternatives. DanielCoutant, Jean Lacaze.

[5Sauf celle de comment trouver un successeur ?

[6La santé dans les villes de plus de 30 000 habitants », M. Schoene et F. Bertolotto, Recherche et évaluations sociologiques sur le social, la santé.

[7Les subventions provenant des Fonds d’intervention régionale (après ceux du FIQCS) peuvent financer un bureau d’études par exemple, qui accompagnera l’élaboration du projet) ; quant aux financements État, Région... ils ne sont pas attribués aux professionnels, mais aux collectivités locales pour la construction de la MSP.

[8Fédération Française des Maisons et pôles de Santé, www.ffmps.fr

[9Unions Régionales des Professions de Santé. À côté de l’URPS médecins, il y a une URPS infirmières, une URPS kinés, une URPS pharmaciens...

[10Voir Pratiques n° 49, « L’usager, hier, aujourd’hui et demain », Daniel Coutant.

[11Dans ce cas, les professionnels adhèrent au « projet de santé » sans forcément être tous regroupés dans le même lieu (la MSP). Il s’agit bien de développer un contenu (une pratique de soins coordonnés, de prévention, de formation) et pas forcément de bâtir un contenant. Ainsi le pharmacien resté dans son officine va être associé aux actions prévention, la concertation va se faire en se réunissant sans forcément co-habiter...

[12Sous le vocable maison de santé, on confond souvent maison médicale (cabinet de groupe) et MSP (avec projet de santé). Le fait que les collectivités locales peuvent en être les initiateurs et les facilitateurs (mise à disposition de locaux, sans contrainte en matière d’offre desoins, de prévention...) peut entretenir la confusion, ce qui ne veut pas dire que ces cabinets médicaux soient sans intérêt pour les professionnels et la population.


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