L’envers du commun

L’histoire de la toxicomanie peut être pensée comme une histoire parallèle, une doublure occulte des violences politiques, dont la période romantique, dans son rapport à l’industrialisation, est emblématique. De la guerre de l’opium en Chine à celle des narcotrafiquants en Amérique latine, elle est autant liée à la conquête coloniale qu’à la production des discriminations sociales.

Christiane Vollaire,
philosophe

Un bistrot du côté de la gare du Nord à Paris. Nous sommes assises l’une face à l’autre, nous connaissant mal, mais contentes de nous retrouver, discutant de nos occupations, de ce qui nous tient à cœur, de nos projets, devant une tasse de café. Elle se lève pour aller aux toilettes. Elle revient un quart d’heure plus tard, le regard totalement changé.
« Ça ne va pas ?
— Si, très bien.
— Il s’est passé quelque chose ?
— Non. »
Dans ce moment, nous sommes comme les deux faces d’une médaille, l’endroit et l’envers d’une même réalité. Mais de cet envers où elle a basculé, je ne peux pas m’approcher par les mots. Seulement y tomber ou me tenir sur le bord, c’est-à-dire juste à des années-lumière, d’où il est impossible qu’elle me parle autrement que par le déni.
Ce déni dit juste que, bien que nous habitions le même lieu géographique, nous ne vivons pas le même espace-temps. Ou qu’elle vit l’envers du mien : un envers du monde qui n’est pas sa face onirique, mais le gouffre ouvert sous la surface des choses, pour utiliser le terme par lequel Henri Michaux désignait la toxicomanie : Connaissance par les gouffres.
Un gouffre ne s’explore pas ; on peut seulement, parce qu’il est l’envers du commun, en entrevoir quelques vertiges politiques : les failles qui s’ouvrent sous nos pieds.

L’invention de l’addiction
Trois termes, dans la langue française, balisent le parcours des représentations, faisant affleurer l’histoire des usages toxicologiques comme une histoire parallèle de la « grande histoire » : le mot drogue apparu à la fin du XVe siècle, le mot toxicomanie apparu à la fin du XIXe siècle, et le mot addiction, apparu à la fin du XXe.
Le premier est contemporain de la première vague de colonisation, il est dérivé du néerlandais où il désignait les produits séchés dans les tonneaux de marchandises.
Le second est contemporain de la deuxième vague de colonisation, et de la guerre de l’opium en Chine. C’est une qualification médicale issue du positivisme scientifique.
Le troisième est contemporain de la guerre « antisoviétique » en Afghanistan (celle qui a précédé la guerre « anti-Talibans » actuelle).
L’histoire de ce qu’on appelle « les drogues » double donc celle des guerres coloniales, comme son envers. Mais elle double aussi celle des sociétés industrielles, dont elle constitue en quelque sorte un devenir occulte, une réalité souterraine. Un lieu de clandestinité en même temps qu’un effet de manipulation. Elle double aussi une histoire de la médecine, des découvertes de Paracelse au XVe siècle à la complexité des liens entre les laboratoires pharmaceutiques et l’industrialisation des officines maffieuses, en passant par les recherches toxicologiques de Claude Bernard, inventeur de la médecine scientifique.
Si donc l’usage de ce qu’on appelle maintenant « drogue » remonte à la plus haute Antiquité, et caractérise aussi bien les cultures les plus primitives, ses reconfigurations constituent véritablement un envers de la modernité, la doublure de son histoire. Le double langage que tient le discours du progrès.
Addictio en latin est un terme juridique : il désigne la contrainte par corps d’un débiteur défaillant. Il n’est donc pas indifférent que le terme apparaisse en français, à la charnière des années quatre-vingt, dans le temps même où se forge le concept de dette comme abcès de fixation des relations économiques entre les Etats : c’est ce concept qui conditionnera, à la fin des années quatre-vingt, la création du FMI.
La représentation de la dépendance qui lie le toxicomane à son objet se construit d’emblée comme celle d’une dette sociale, contrainte par corps qui réintroduit dans le circuit collectif, comme débiteur économique, celui qui prétend s’en émanciper. Et cette contrainte par corps trouve un sens particulier lorsqu’il arrive que le trafic des stupéfiants se lie à une économie de la prostitution : rendre quelqu’un addict pour l’obliger à se prostituer est l’une des formes que prend le trafic de l’héroïne.
On est ainsi passé du sens originellement commercial du mot drogue au sens clairement médical du mot toxicomanie, inscrit dans une nosographie neurobiologique, pour aboutir au sens économique et social du mot addiction, qui réinscrit le médical dans la connotation d’une dette sociale. L’assujettissement au produit y est identifié à un régime d’endettement.

De quoi dépendre ? À quoi échapper ? 
Dans tous les cas, c’est bien d’une configuration de liens qu’il s’agit, pour ce qui semble viser au contraire, dans les représentations des sujets eux-mêmes, à les délier. Et c’est là précisément le double bind de l’expérience toxicomane, que visant une forme de détachement à l’égard du réel, elle suppose l’inféodation non pas seulement à un produit, mais par là-même à un circuit économique essentiellement aliénant.
Antonin Artaud écrit en 1927 dans L’Ombilic des limbes : 
« La loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes. C’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun. [1] » 
La colère qui se lit dans ce texte est liée à cette conviction d’une « usurpation » : une aliénation politique, sociale, médicale, vient répondre à la volonté de libération qui caractérise l’usage des drogues. Vouloir se libérer de l’insupportable douleur de vivre, c’est tomber sous le coup de la loi. Vouloir accéder à ce qu’Artaud appelle le corps sans organe, c’est tomber sous le coup de la médecine. Et la corrélation, sous la figure de l’inspecteur de santé publique, du pouvoir juridique et du pouvoir médical, cristallise cette aliénation du toxicomane non pas à l’usage des drogues, mais à la puissance politique. Être aliéné, c’est voir sa propre intimité pénétrée par le social, et perdre ainsi la possibilité même d’un espace privé. Cette dénonciation de la prétention singulière de la médecine moderne sera bien sûr reprise par Michel Foucault dans le concept des sociétés de contrôle, et dans la manière dont il récusera, dans La Volonté de savoir, le régime de l’aveu : une forme du biopolitique, qui s’insinue dans l’intériorité des sujets pour modeler les conduites et dicter les comportements. « Disposer de la douleur des hommes », c’est légiférer contre ce qui leur permet d’y échapper.
À quoi donc celui qui se met sous la dépendance des toxiques vise-t-il à échapper ? D’abord justement à cette contrainte sociale à laquelle la législation le renvoie. L’expérience toxicologique est celle d’une offre de respiration, d’une dilatation de l’espace intérieur. Elle vise d’abord à repousser vers les marges la compression du collectif et la pression de la norme. Pour l’adolescent, c’est une mise à distance de la pression familiale et des liens de la filiation. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles même l’expérience la moins nocive, celle du joint de cannabis, provoque souvent chez les parents cette peur bleue qui leur fait confondre le plaisir du joint et l’enfer de la dépendance.
Ce besoin absolu de mise à distance, cette nécessité d’une dilatation de l’intime, n’ont absolument rien de pathologique : ce sont des besoins non seulement légitimes, mais indispensables à la constitution de l’identité, et il faudrait plutôt s’inquiéter de l’état mental de celui qui ne les éprouverait pas : l’aptitude à se glisser aisément dans la norme n’est pas nécessairement une preuve d’équilibre psychologique.
Et l’aptitude à se glisser dans des normes perverses est bien plutôt une preuve certaine de déséquilibre. Que les drogues telles qu’elles existent soient pour une large part héritées des guerres coloniales, ne nous dit pas seulement l’origine géographique de l’opium, du cannabis ou de la coke, les territoires exotiques où poussent les végétaux dont on les extrait.
Cet héritage nous dit aussi ce que sont des rapports de domination, qui vont transformer une production locale en un enjeu de stratégie internationale, économique et militaire.
Cet héritage nous dit enfin, par l’usage qui est fait de ces drogues comme adjuvant de l’action militaire, ce qu’est la guerre, quelle violence elle inflige non pas seulement à ses victimes, mais plus généralement à ses acteurs, et même à ses gagnants ; et quelle dose de déréalisation il faut pour parvenir, même en tant que dominant, à la supporter.

Une histoire parallèle des violences
Mais ce modèle de la guerre vaut tout aussi bien, à l’aune même du darwinisme, pour le struggle for life que constitue une vie. Et la violence existentielle, qui commence par cette noyade à l’envers qu’est le premier cri, ne cesse de nécessiter aussi bien des lénifiants pour la fuir que des tonifiants pour l’affronter. La dimension prothétique des drogues est de cet ordre-là. Et elle ne se distingue en rien, de ce point de vue, de toutes les autres formes de réponse à la violence. On peut à cet égard prendre pour paradigme les effets prétendument antagonistes de l’héroïne et de la cocaïne, qui sont juste les effets que chacun d’entre nous attend de tout ce qu’il absorbe en général : suspendre le combat ou l’accélérer ; se reposer ou se réénergiser.
Lorsqu’autour de 1830, le chimiste allemand Heinrich Dreser isole ce qu’il pense être un substitut non toxique de l’opium, il le nomme heroïsh, qui signifie « énergique ». On est déjà dans la recherche de substituts, et dans la production, en leur lieu et place, de substances qui s’avèreront plus nocives encore que les précédentes.
Les peintres et poètes expressionnistes allemands, comme Gottfried Benn, Yvan Goll, Ludwig Kirchner, médecins ou pharmaciens dans les rangs de l’armée allemande, reviendront de la première guerre mondiale souvent dépendants à cette substance prescrite aux soldats combattants pour lever leurs inhibitions, et aux soldats blessés pour leur faire supporter la douleur.
Et Avital Ronell, philosophe américaine, la montre au cœur même de la deuxième guerre mondiale :
« La méthédrine, ou méthylamphétamine, synthétisée en Allemagne, a joué un rôle déterminant dans le Blitzkrieg hitlérien ; « héroïne » vient de heroish, et Göring ne se déplaçait jamais sans sa dose ; le docteur Hubertus Strughold, père de la médecine spatiale, dirigea à Dachau des expériences sur la mescaline — il serait de fait difficile de dissocier les drogues d’une histoire de la guerre moderne et du génocide. Peut-être pourrait-on prendre un point de départ aux alentours de l’ethnocide des Indiens d’Amérique par le recours à l’alcool et à la stratégie de l’infection virale. [2] » 
Amphétamines, héroïne, mescaline, cocaïne, ne sont pas seulement les effets des guerres coloniales, elles accompagnent le phénomène même de la guerre, en tant qu’il nécessite des effets de surhumanité ; et conditionnent jusqu’à la conquête spatiale, dont on prépare le conditionnement toxicologique dans le laboratoire des camps d’extermination.
L’analyse d’Avital Ronell nous fait entrer par la question des drogues dans un cycle de violence terrifiant, où la puissance des technologies militaires, celle des biotechnologies et celle de l’industrie chimique se rejoignent pour instrumentaliser ce que le philosophe Grégoire Chamayou appellera en 2009 dans son livre éponyme Les Corps vils  : ceux sur lesquels on peut expérimenter les toxiques qui seront ensuite utilisés de façon sélective ou diffusés en masse, selon les finalités auxquelles ils sont destinés.
Roberto Saviano montrera, dans son essai documentaire Gomorra comment les maffias actuelles utilisent de la même manière les « corps vils » des pauvres pour expérimenter de nouveaux dosages dans la production des toxiques.
Cette histoire parallèle, qui produisait la guerre de l’opium en Chine au tournant du XXe siècle (et dont l’auto-expérimentation, que Freud testa pour la cocaïne, n’est que la manifestation la plus soft), produit actuellement les déchaînements de violence incontrôlable des narcotrafiquants sur les territoires d’Amérique latine. Ceux-ci ont fait plus de 15 000 morts au Mexique pour la seule année 2010, dans une véritable guerre civile en vue du contrôle des trafics vers les États-Unis. Mais, comme le signalent les plus banales sources d’information :
« Morphine et héroïne sont produites dans des laboratoires proches des régions de culture. [...] Le phénomène vaut également pour la cocaïne, en phase de surproduction, conséquence probable de la complaisance que montra un temps la CIA à l’égard de certains régimes et guérillas anticommunistes dans cette partie de l’Amérique latine où le climat et la terre des contreforts des Andes sont seuls propices au développement du cocaïer. [3] » 

Le rapport à l’occulte
On voit ici comment cette histoire parallèle des toxiques est aussi celle des circuits parallèles de l’action politique. La CIA finance les guérillas anticommunistes d’Amérique latine des années quatre-vingt en les poussant à la surproduction de cocaïne, à la fois dans sa phase agricole et dans sa phase d’élaboration chimique. Dans les années deux mille, la guerre déclarée par l’État mexicain, limitrophe des États-Unis, aux narcotrafiquants, se retourne contre l’État lui-même, gangrené par la corruption générée par ces trafics, et le Mexique devient un espace d’ultraviolence livré à la guerre des cartels.
On est passé des interventions occultes d’une officine d’État américaine à la terreur incontrôlable des maffias locales et de leurs réseaux internationaux. Mais entre-temps, ces maffias encouragées par la CIA ont pris la puissance d’une armée, contre un État destitué de fait de sa souveraineté. Entre-temps aussi, ces cartels ont diversifié à la fois leurs méthodes, passant d’un gangstérisme traditionnel à un terrorisme paramilitaire ; et leurs activités, passant du trafic de drogue au trafic d’armes et d’êtres humains. La « lutte contre le communisme », qui avait déjà porté au pouvoir les tyrannies les plus violentes (au Chili, en Argentine, au Brésil), met un pays entier sur les genoux, y instaurant une nouvelle éducation à la violence :
« Dans cette région frappée par la récession économique, près de la moitié des jeunes ont déserté l’école et ne trouvant pas d’emplois, sont entrés à l’école criminelle, recrutés par les narcos, qui exploitent les abus des militaires. [4] » 
Dans cette même période des années soixante-dix, un autre front s’ouvre au travail de la CIA : le front interne des ghettos noirs et hispaniques des métropoles américaines. Le crack, issu des résidus de fabrication de la cocaïne, permet à la fois d’en recycler le trafic sans perte, et de neutraliser une population considérée comme potentiellement dangereuse. Il y sera intentionnellement introduit pour des raisons de politique interne, dans le temps même où il est interdit par la loi... ce qui donne un tout autre poids à la formule d’Artaud précédemment citée, sur le rôle de l’État. Double jeu des pouvoirs politiques, double langage de la loi, effet de mise en abyme entre la clandestinité des trafics et la clandestinité de l’usage, qui finit par faire de l’usager un simple objet de manipulation politique, dans l’activité qu’il peut percevoir lui-même comme la plus subversive. On est saisi ici d’un véritable vertige du montré et du caché, de l’incitation et de l’interdiction, du subversif et du manipulé, qui est au cœur même de la gestion occulte des toxiques, et du rapport à l’occulte en général : interdire, c’est aussi toujours livrer aux abus de la clandestinité et des pouvoirs qu’elle féconde. Un envers que l’existence même de l’endroit suppose et suscite.

L’envers de l’industrialisation
Avital Ronell, dans Addict, Fixions et narcotextes, part du personnage de Madame Bovary, femme de médecin, qu’elle analyse comme prototype de toxicomane dépendante de son pharmacien dealer. Une manière de tenter, par la littérature, de saisir dans la banalité d’un personnage sans envergure particulière, d’un anti-héros, l’omniprésence de la toxicomanie comme anticipation des sociétés de consommation. Elle illustre par là la relation suggérée par le sociologue Zygmunt Bauman [5] entre consommer et se consumer, les deux étant liés dans un mode d’existence qui passe, selon son analyse, par la circulation généralisée d’une vie devenue liquide, passant par les liquidités financières jusqu’à se liquider elle-même.
Le toxique qu’on absorbe, par ingestion ou par injection, participe, au même titre que les objets de consommation, de cette circulation qui inclut aussi l’alimentaire. Ronell écrit :
« Il n’existe pas de culture sans culture de la drogue, quand bien même celle-ci devrait être sublimée pharmaceutiquement. [...] Flaubert nous impose une lecture de l’inactuel, à savoir des fantasmes et des fantômes qui investissent l’institution d’un drugstore. [6] » 
L’« institution d’un drugstore » joue de cette ambiguïté entre l’officine pharmaceutique et le supermarché, entre le lieu de deal et le temple officiel de la consommation. Et cet anachronisme intentionnel relie la circulation des fluides vitaux à celle des fluides économiques, dans une continuité d’ordre quasi-vampirique. Ronell écrit de Madame Bovary :
« Elle se retrouve, tout à fait littéralement à sec, vidée de ses ressources : quelque chose vampirise Madame Bovary. Or cet assèchement [...] ne prendra fin que lorsque le liquide jaillira de sa bouche dans la scène de son suicide. C’est là le moment où le concept même de flux (de valeur courante) devient assimilé à ses systèmes de circulation. [7] » 
La description de la mort de Madame Bovary, c’est l’accomplissement d’un cycle de vampirisation qui identifie son endettement financier à son dessèchement affectif. Une métaphore du caractère profondément toxique de la consommation. Il lui est impossible d’assimiler les flux qui finissent, dans son suicide au cyanure, par lui sortir de la Pourquoi donc Ronell affirme-t-elle ici qu’il n’existe pas de culture sans culture de la drogue ? Il semble que ce soit au cœur du mouvement romantique, dont la Madame Bovary de Flaubert est un avatar tardif, qu’on puisse y trouver une réponse : un mouvement qui, dans ses formes littéraires et esthétiques, se présente comme l’envers exact, et en quelque sorte la doublure, de la révolution industrielle dont il est contemporain. Aux violences de l’industrialisation, du progrès à marche forcée qui l’accompagne, des guerres coloniales qu’elle génère, le mouvement romantique répond par une revalorisation de la nature, un appel aux affects et aux sentiments. Mais ceux-ci, dévitalisés par la puissance industrielle et l’essor de la pharmacopée qui l’accompagne, prennent la forme de la passion morbide, de la maladie tuberculeuse, du spectre vampirique, de l’abandon à un imaginaire désespéré.
Il nous reste à penser ce potentiel critique que suppose le recours aux toxiques contre la toxicité du monde. Mais le penser à l’encontre même des formes de défaitisme dont il a pu s’avérer porteur. C’est la condition actuelle pour que la vitalité du corps sportif ne suppose pas plus la prothèse du dopage, que la volonté de vivre ne suppose le recours aux psychotropes.
L’usage des drogues est autant dans cet envers de l’industrialisation, dont la réaction romantique portait la trace, que dans l’envers de la globalisation dont les guerres coloniales sont le premier symptôme. Cet envers est aussi celui de notre propre intériorité, et nous oblige à repenser les deux faces de notre propre médaille. C’est pourquoi les lois prohibitrices des drogues n’en font pas disparaître le désir. En posant un déni sur la légitimité même de ce désir, elles le rejettent dans la clandestinité, qui ouvre à toutes les violences.
De la consommation de ce qu’on appelle « drogues » à celle des psychotropes, ou à la consommation tout court, les seuils sont bien fragiles, et les formes de nos addictions suffisamment multiples pour qu’on puisse réfuter sans peine la stigmatisation de ceux qu’on appelle « toxicomanes ». Il n’en demeure pas moins, dans l’usage d’un certain nombre de toxiques, ce potentiel de violence et d’autodestruction qu’aucune légalisation ne suffit à résoudre.


par Christiane Vollaire, Pratiques N°58, juillet 2012

Documents joints


[1Artaud, L’Ombilic des limbes, 1927 (Œuvre complètes, t.1, p. 64-65).

[2Avital Ronell, Addict, Fixions et narcotextes, Bayard, Paris, 2009, p. 73.

[3Alain Rey (Dir.), Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, Paris, 2005, p. 206.

[4Sarah Sissman, « Narco-terreur au Mexique », Slate.fr, 12 mars 2009.

[5Dans La Vie liquide (en 2006) ou dans S’acheter une vie (en 2008).

[6Ibid., p. 91.

[7Ibid., p. 132-133.


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