Christian Bonnaud,
Médecin généraliste
J’étais associé depuis treize ans à une femme médecin. Nous avons travaillé à temps partiel pendant tout ce temps (présence hebdomadaire continue au cabinet, l’un après l’autre).
Ce départ a été mûri depuis quelques années, par désir de réduire et de varier l’activité avant un départ en retraite vers 65 ans. Ces années se sont passées à essayer de trouver une solution pour permettre aux patients d’avoir un accès aux soins correct, à proximité. Dans le même temps, les médecins généralistes du secteur (population du canton : 22 000 habitants) se sont réunis entre eux, puis avec d’autres professionnels du soin. Ces réunions avaient l’objectif de mettre en place, si possible un travail en commun, dans un lieu commun, maison de santé ou pôle santé ! La plupart étaient d’accord sur l’objectif de travailler ensemble, dans une structure multi-professionnelle, et la communauté de communes a été contactée, une commission a été mise en place. Un bureau d’études a été budgété pour faire une étude de faisabilité et mettre en place un projet. Un certain nombre de médecins généralistes ont d’emblée dit qu’ils ne participeraient pas, les autres se sont sentis isolés dans leur choix de travailler en groupe, et actuellement, le projet est resté dans les cartons.
Pourquoi cela s’est-il passé ainsi ?
On peut mettre en avant quelques causes spécifiques, la première étant le décès du plus jeune médecin du secteur, en 2010, il y a eu aussi la « longue maladie » d’un autre médecin. L’arrivée de deux médecins roumains sur le secteur (recrutés par les communes où ils exercent, avec des conditions d’installation très avantageuses) a un peu cassé la coopération interprofessionnelle. En effet, ces médecins, avec qui le travail en commun se fait de façon très correcte, sont plus dans une logique d’être assistés dans leur installation, et de craindre l’éventuel coût financier d’une maison de santé. Je ne sais pas si ce que je dis est compréhensible, mais il me semble que le problème est un peu là, en tout cas, ils ne se situent pas dans une dynamique de mise en place d’un exercice en commun.
Il faut dire aussi que, sur notre secteur, actuellement très peu de professionnels travaillent avec un secrétariat sur place. La peur d’une augmentation des coûts de personnel joue un rôle certain. En plus, chaque commune qui a un médecin a souvent une pharmacie, et la pharmacie met des bâtons dans les roues au départ du médecin de sa commune. L’esprit de paroisse n’a pas disparu, surtout si on pense que cela peut faire baisser le chiffre d’affaires de la pharmacie, ce qui est effectivement le cas. Et chaque maire va bien sûr abonder dans ce sens, même si lui-même a son médecin traitant au chef-lieu de canton. Contradiction quand tu nous tiens !!
Et les élus, justement, comment ont-ils géré cela ? Ils ont d’abord délégué à un bureau d’études pour estimer les besoins puis, une fois constatée la nécessité de « faire quelque chose », pour réunir et faire travailler ensemble les partenaires. Un des médecins généralistes est élu à la communauté de communes, et il se trouve qu’il s’agit d’une des plus grosses clientèles du secteur, et que ce médecin participe peu aux actions collectives organisées, en particulier la formation. Les autres élus sont des consommateurs de soins, et ne sont pas, jusqu’à ce jour, posés trop de problèmes de santé publique. Il me semble que c’est le cas de beaucoup d’élus, pour lesquels la réflexion sur le système de santé est plutôt faible.
Ils ont dégagé une ligne budgétaire pour financer une maison de santé, cela, ils savaient le faire ; le bureau d’études leur a fait un projet permettant d’avoir des aides de la Région, de l’Agence Régionale de Santé. Manquaient les professionnels et, en particulier, les médecins. Alors, ils ont pris leurs bâtons de pèlerins pour convaincre individuellement chaque médecin. Du fait du passif existant entre eux, du peu d’envie de travailler ensemble (pratiques professionnelles trop différentes en particulier), les médecins individuellement ne se sont pas plus engagés, et actuellement le projet végète, porté par un dentiste et le généraliste élu à la communauté de communes.
Depuis, et très récemment (fin septembre), un médecin supplémentaire, de façon brutale, a cessé son activité (il est devenu médecin-conseil). Ce médecin travaillant volontairement de façon isolée, ne serait pas venu travailler en maison de santé. Il y a donc, aujourd’hui, encore un médecin de moins sur le secteur, des listes d’attente qui s’allongent dans les cabinets, et une offre de soins non satisfaite sur le secteur par accès insuffisant au médecin. Par ailleurs, deux généralistes vont avoir 65 ans en 2013.
Tentative d’analyse de ce qui se passe, de l’échec en cours
Je me demande si l’échec n’est pas d’abord lié à la non-définition des objectifs de santé pour le secteur.
Du côté des professionnels, pourquoi et comment travailler ensemble et du côté des usagers, qu’attendent-ils des professionnels ? Et les élus dans tout ça, qui sont aussi des usagers d’ailleurs ! Bref, quels sont les besoins pour une prise en charge optimum de la santé sur un secteur de population comme ce canton rural, éloigné de l’hôpital par environ une heure de route, donc et y compris des services d’urgence ? La diminution du nombre des médecins fait que, même pour une réponse téléphonique, les médecins sont le plus souvent inaccessibles, car leur emploi du temps ne permet pas cette disponibilité. Ils verrouillent donc l’accès direct, et ce sont les secrétaires qui répondent aux appels, y compris urgents, quand ce n’est pas un répondeur simple. Cela n’est bien sûr pas satisfaisant. Les médecins généralistes présents sur le secteur ne reçoivent pas d’étudiant en stage, sauf deux d’entre eux. Dans certains cabinets de « groupe » du secteur, les courriers professionnels ne sont pas lus par d’autres médecins le jour où le médecin concerné est absent (et certains résultats de laboratoires nécessitent une réponse du jour). Je ne parle pas des réunions entre professionnels qui, actuellement, n’existent nulle part. Peut-on demander à ces médecins, parce que c’est dans le cahier des charges de l’ARS, de changer leurs habitudes, de se réunir régulièrement, de faire de « l’éducation thérapeutique », d’ouvrir leurs cabinets à d’autres professionnels ? La question a été soulevée, les généralistes ont dit majoritairement non, et ceux restant ne se sentent pas la force de faire évoluer le système.
Un cabinet de type « 1975 », avec quinze marches pour y accéder et encore cinq à l’intérieur, a permis un regroupement de trois médecins avec un secrétariat. Un projet multiprofessionnel est en gestation sur deux communes (3 500 à 4 000 habitants) au nord du secteur, ce peut être un montage avec salariat des médecins type centre de santé, puisqu’il existe déjà un centre de soins infirmiers sur le secteur, ou bien un projet privé piloté par certains professionnels et assez grand pour en accueillir d’autres, je ne sais pas encore ce qu’il en sera. Et sur le chef-lieu de canton, des professionnels déjà en place sont prêts à investir dans suffisamment grand pour accueillir une maison de santé
Je pense que les généralistes surtout, mais pas uniquement eux, craignent la pression de la tutelle ; de toute façon, je ne sais pas comment on peut mettre en place des maisons de santé sans qu’il y ait des administrateurs pour aider à la gestion. Ils ont aussi peur du coût, que ce soient le loyer, les frais de personnel, les frais de gestion administrative. C’est pourquoi, je pense qu’une proposition de salariat avec des salaires du type praticien hospitalier serait la bienvenue, même pour un certain nombre de médecins généralistes installés, et encore mieux pour les jeunes.