Je ferais bien mieux de mourir !

Serge Sadois
Retraité actif

Un jour que nous nettoyions un massif de fleurs devant le cabinet médical, Gaby Guillot est venu nous voir, pour discuter, parler du temps qui passe, de sa tristesse, de sa femme Marie partie trop tôt. Gaby allait sur ses 82 ans et Marie en avait eu 78. C’était un homme d’un naturel souriant, jovial avec toujours un bon mot pour rigoler.
Il s’est plaint de sa tension qui faisait des siennes, de cette solitude difficile à supporter et de tout le reste de ces maux de vieil homme.
« Je ferais bien mieux de mourir ! »
Il l’a dit deux fois. À la deuxième, le naturel à repris le dessus, il s’est mis à rigoler.
« Je dis ça, mais l’autre jour, au carrefour en face, j’étais à vélo, j’allais voir mes brebis dans le champ là-haut, y a une voiture qui m’a renversé. Tu aurais vu à la vitesse à laquelle j’ai sauté de mon vélo ! Et je dis que je veux mourir ! Les pompiers sont venus. Il y avait un seul blessé. Mon vélo. »
De solitude, Gaby est allé à l’Ehpad local y retrouver des amis de son âge et des gens de sa grande famille. Il est décédé à 96 ans.

Ce n’est pas le cas, hélas, d’une de ses nombreuses cousines, Simone Martin, Guillot de son nom de jeune fille, mariée à Eugène de la grande famille des Martin. Il n’y a pas si longtemps, ici, les familles étaient nombreuses, très nombreuses. Au point qu’une fois, Gaby nous avait dit, si tu n’as pas de Guillot ou de Martin dans ta clientèle, ça veut dire qu’il n’y a pas grand monde dans ton cabinet.
Un jour, un mauvais jour d’hiver, Simone ne se sentait pas bien, très vite ses analyses sont reve-nues du labo, elles étaient formelles, elle avait un méchant cancer.
Pourtant, elle voulait voir le mariage de sa dernière fille. C’était prévu, mais sans date précise. Il a fallu y penser sans attendre. C’est qu’ici, une noce, ça ne s’organise pas simplement, réserver la salle, le traiteur, le curé, se mettre d’accord sur le texte des invitations, sans parler du plan de table, surtout ne pas mettre la tante Berthe à côté du cousin Émile à cause d’une sombre histoire entre eux de vache ensorcelée qui avait perdu son veau… Bref, un vrai cauchemar.
Mais Simone a fait ce qu’il fallait pour que les cousins et petits cousins soient invités. Cela allait être une grande noce, une belle noce selon les normes locales. Les enfants angoissés de voir partir leur mère trop tôt ont fait tout ce qu’il fallait. Simone avait dit : Ne vous en faites pas, je serai là.
Effectivement, elle a fait la noce, elle a revu toute sa grande famille.
Et puis, elle est décédée le lendemain après-midi.


par Serge Sadois, Pratiques N°92, février 2021

Documents joints

Lire aussi

N°92 - janvier 2021

L’ours du n° 92

Pratiques, les cahiers de la médecine utopique est édité par Les éditions des cahiers de la médecine utopique, dont le président est Patrick Dubreil. La revue Pratiques est éditée depuis 1975. La …
N°92 - janvier 2021

Une petite veste pour cacher les bras

par Isabelle Canil
Isabelle Canil Orthophoniste Le passage de vie à trépas, le dernier souffle, le dernier voyage, le moment où l’âme se rend, celui où l’on en vient à expirer, trépasser, décéder, succomber… ou …
N°92 - janvier 2021

La Covid n’est pas seule responsable !

par Bernard Roy
Bernard Roy Professeur titulaire, Faculté des sciences infirmières, Université de Laval On a permis à l’État québécois d’offrir aux personnes âgées en centres d’hébergement de soins de longue …
N°92 - janvier 2021

Un habitat pour mieux vieillir

par Marthe Tournou
Marthe Tournou Un habitat nommé L’Ostal (maison en occitan), participatif, intergénérationnel, solidaire et écologique. Figeac, ville de près de 10 000 habitants, dans le département du Lot, …