Un habitat pour mieux vieillir

Marthe Tournou

Un habitat nommé L’Ostal (maison en occitan), participatif, intergénérationnel, solidaire et écologique.

Figeac, ville de près de 10 000 habitants, dans le département du Lot, le plus âgé de France, en Occitanie, a le label « Ville d’art et d’histoire » pour l’architecture exceptionnelle de ses quartiers anciens, du Moyen-Âge et de la Renaissance magnifiquement rénovés. Son musée des Écritures du monde met à l’honneur un enfant du pays, Champollion, déchiffreur des hiéroglyphes. Au-delà de cette sous-préfecture, le Grand Figeac rassemble 41 000 habitants, dont l’économie, plutôt rurale avec l’élevage bovin, ovin et caprin, s’enorgueillit de sa « mécanic vallée » avec de nombreux sous-traitants travaillant dans le domaine de l’aéronautique en lien avec Toulouse (Airbus) et Ratier (hélices). La présence d’un IUT et d’une école d’infirmières apporte à la ville une population jeune, côtoyant une population pour moitié à la retraite. Une vie associative et culturelle avec ses festivals (théâtre, musique classique…) contribue à donner un dynamisme et sa station sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle complète le tableau d’une ville à la qualité de vie rare. Figeac, ville touristique visitée par plusieurs milliers de touristes par an, a su marier ce tourisme avec la continuité d’une vie d’une vraie ville, sans devenir, à l’instar de nombreuses villes et villages de province, un lieu muséifié.

S’y installant, une jeune femme, Margot Perrier, a eu un projet de lieu de vie pour les seniors. Il en existe bien à Figeac, mais son projet a la particularité d’être participatif. Présenté à Figeacteurs, une association-ressources de l’économie sociale et solidaire [1], ce projet a tout de suite trouvé un écho favorable dans la population senior. Après plusieurs réunions, dont la première a eu lieu début juillet 2020, ce projet s’oriente à présent vers la réalisation de deux structures. L’une, participative, sera l’œuvre des futurs résidents dans tous ses aspects (financier, administratif, juridique, architectural, gouvernance…) et l’autre avec des logements dits inclusifs [2], pour des personnes plus âgées et autonomes qui voudront y habiter sans pour autant les faire participer à son élaboration.
Ce projet s’est aussitôt constitué en association Loi 1901 « L’Ostal de Figeac » comprenant une quarantaine d’adhérents dont certains motivés pour s’y impliquer sans pour autant avoir le projet d’y habiter. À ce jour, six personnes se sont prononcées pour y vivre et une quinzaine reste en réflexion. Ce qui devrait aboutir à la réalisation de vingt-cinq à trente logements dont quelques unités pour le bâtiment inclusif.
Ce projet a l’avantage d’être élaboré selon les besoins et les vœux des futurs résidents, d’autant plus qu’ils le portent depuis ses prémices. Le principe fondamental est de permettre à chacun, seul ou en couple, d’avoir un appartement privé et de partager des espaces et services communs. Chaque appartement (de 40 m2 en moyenne) sera pourvu d’une terrasse privée, et les espaces partagés seront dévolus aux services : buanderie, jardin, potager, espaces verts, salles communes de jeux, ateliers, caves, rangements et même deux ou trois appartements pour recevoir la famille et les amis des résidents… Nous en sommes actuellement à l’élaboration de ces espaces, et nous ne nous donnons aucune limite, sinon celles du financement…
Il est intéressant de noter que ce projet, au départ à l’adresse des seniors, s’oriente à présent vers l’intergénérationnel, avec des familles, des étudiants, conscients que nous sommes que le mélange des générations augmente la richesse des apports mutuels et parce que la vie est ainsi !

Trois groupes de réflexion et de travail se sont constitués :
1) Administratif-judirique en charge de l’étude des différentes structures juridiques que nous souhaitons dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. Un bailleur social est fort intéressé par ce projet novateur et la mairie nous soutient en nous proposant un terrain situé un peu à l’extérieur du centre-ville, mais desservi par le bus gratuit (eh oui, à Figeac le transport en commun est gratuit !). Il y aura des logements sociaux aux loyers plafonnés HLM et d’autres en accession à la propriété ; une autre réflexion s’oriente vers des systèmes de coopératives, ou de sociétés civiles. Examiner des systèmes législatifs très cadrés est nécessaire mais on peut aussi sortir des cadres, inventer des règles en cas de départ de locataire ou de vente d’un appartement, par exemple ;

2) Architecture-écologie chargé de la conception des bâtiments et des différents espaces privés et partagés, d’étudier les offres d’architectes pour un bâti bioclimatique, pour une construction orientée selon le climat local, avec une isolation thermique et sonore de qualité ou encore une utilisation de la lumière naturelle. Cette orientation permettrait de réduire les charges des budgets contraints et peu évolutifs de cette population, et de proposer un environnement de vie sain et adapté à ses besoins. L’utilisation de matériaux locaux et biosourcés et une main-d’œuvre locale en feront un investissement aux répercussions économiques sur le territoire ;

3) Animation-gouvernance dont la tâche sera notamment la réalisation de la Charte des résidents, texte fondateur qui indiquera nos règles de vie commune pour l’usage des espaces collectifs, tout en restant acteurs de notre cadre de vie, au besoin avec l’aide d’un animateur, afin de préserver la bonne entente entre nous. Ceux qui s’engageront dans ce projet feront preuve de leur sens des responsabilités et du respect d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous prenons soin de nous réunir souvent, pour que chacun puisse exprimer ses attentes, en discuter en tenant compte des compétences et des choix de tous, et prendre nos décisions collégialement. C’est aussi une manière agréable et vivante de se connaître, de faire naître le collectif et de faire jouer l’intelligence collective.

Par ailleurs, nous sommes conscients que ce « vivre ensemble » que nous sommes en train de créer peut être un atout pour les jeunes familles avec enfants, offrant ainsi des commodités multiples, aussi bien humaines que matérielles, sans omettre aussi l’aspect financier grâce à l’implication du bailleur social.
Nous souhaitons que ce lieu soit ouvert sur la ville. Pourquoi ne pas faire bénéficier du jardin partagé aux écoles voisines, par exemple ? Le terrain choisi par la mairie s’inclut dans un projet de développement urbain, côtoyant des activités orientées vers le sport avec un voisinage d’espaces verts.

Nous nous renseignons également auprès de projets similaires ayant abouti. À Montpellier, une structure fédère tous ces projets d’Occitanie, Hab-Fab [3]. Nous sentons qu’il y a une demande de vivre autrement, venant de toutes générations.
En visitant justement à Montpellier une résidence d’une vingtaine de logements, nous avons appris des éléments précieux auxquels nous n’avions pas encore pensé et quelques écueils à éviter. Cette résidence est basée sur une organisation très précise. Par exemple, un groupe de personnes est prévu pour la maintenance du matériel commun (machine à laver, tondeuse à gazon…), un autre pour l’entretien des communs (couloirs, espaces verts, détritus, poubelles…). L’organisation en petits collectifs où chacun s’inscrit dans un groupe de travail selon ses envies, ses capacités, ses savoir-faire, permet une souplesse dans le suivi des besoins, en évitant de réunir tous les résidents et d’alourdir d’autant les décisions nécessaires. Pour financer ces besoins, chaque résident abonde une même somme mensuellement, les dépenses des communs étant assumées au tantième, c’est-à-dire réparties proportionnellement à la surface privée de chacun au regard de celle de l’ensemble de la résidence. Des réunions plénières font ensuite le point sur les dépenses.
À l’instar de cette méthode de financement, une petite cagnotte de vingt euros mensuels par résident a été décidée dès à présent, pour subvenir aux besoins futurs d’aménagement du terrain. En cas de retrait d’un résident, son allocation lui sera bien entendu restituée.

Durant le confinement (printemps 2020), des témoignages ont rapporté les bienfaits pour certaines personnes âgées de ne pas être allées faire leurs courses, effectuées par des voisins plus jeunes qui leur laissaient leurs enfants à garder, un exemple parmi d’autres du partage de la vie quotidienne dans un espace commun où chacun a malgré tout son territoire. Cette organisation de vie collective permet à des personnes âgées de continuer à vivre de manière indépendante mieux qu’une personne seule dans un logement isolé. Des situations certes prosaïques, mais qui, finalement, sont la vie !
Un reportage sur un logement participatif montrait un professeur d’anglais à la retraite donnant des cours aux enfants, une vieille dame apprenant à des enfants à faire des gâteaux, et la présence de fauteuils et de canapés dans la buanderie laissaient présager que celle-ci pouvait être le dernier « salon où l’on cause »… bref, une transmission de savoirs simples, de la vie quotidienne, qui a tendance à disparaître en raison de l’isolement et la solitude des personnes âgées. Ce genre d’habitat permet un enrichissement mutuel. Dans un tel contexte, l’avancée en âge peut ne plus être perçue comme un « naufrage »…

Cela reste possible bien évidemment tant que nous ne devenons pas dépendants. Il s’agit donc d’une période avant la dépendance telle qu’elle est précisée dans l’acronyme Ehpad. Nous pensons que ce mode de vie, dans ce système de partage, de soutien, de solidarité, favorise le prolongement de l’indépendance de l’individu, en en faisant un acteur de sa vie, de services rendus, et en réduisant isolement et solitude. C’est pourquoi il est indispensable que les futurs résidents assument ensemble la vie du collectif. Et quand, l’âge avançant, l’indépendance de vie se fera de plus en plus délicate, le bâtiment dit « inclusif » pourra les accueillir, tout en restant dans le même environnement. Cependant, si la dépendance s’avère trop lourde, la solution de l’Ehpad s’imposera, car l’Ostal ne sera pas une structure médicalisée, son objectif restant d’être un lien plus souple entre l’habitat autonome et l’Ehpad.
À Figeac, un SEL (Système d’échanges locaux), dont plusieurs d’entre nous font partie, met en avant le lien plutôt que le bien. Nous y sommes actifs, habitués au partage et au don. Nous organisons une vie d’émulation sociale à travers des jeux, des ateliers… Nous sommes donc rompus, en quelque sorte, à l’esprit de solidarité et d’entraide, sans tenir une comptabilité précise de qui fait quoi et pour qui. Ce genre d’habitat peut en être, en quelque sorte, le prolongement, avec ses imprévus… tant les lieux partagés sont porteurs de vie.
Mettre en commun les besoins auxquels on répond facilement (buanderie, voiture commune, matériel de bricolage, jardinage…) remet en question la notion de propriété pour aller vers celle d’usage. Cela casse le système consumériste qui isole chacun avec son objet, faisant valoir finalement l’avoir sur l’être.

En menant ce projet, nous nous sommes rendu compte combien il en existait de ce type en France et surtout en Allemagne ou dans les pays du Nord. C’est bien un mouvement de fond, correspondant au vieillissement de la population, mais initié bien avant nous.
Enfin, nous savons que ce projet, né en été 2020, prendra du temps et nous ne sommes pas pressés, lucides que le temps apportera la nécessaire réflexion pour mieux orienter nos choix. Ce temps nous l’avons encore, nous le mettons à profit, constituant ainsi une belle aventure humaine !

Réaliser une organisation intégrant la vie privée de personnes vieillissantes et leur vie sociale parmi les autres générations en tenant compte de leur baisse de capacités physiques est une approche nouvelle et complexe, tant notre façon de vivre est devenue individualiste et catégorisée. Il s’agit d’un autre mode de vie, qui ressemble à celui où plusieurs générations partageaient le même toit. Ce qui est novateur ici est de préserver un espace privé avec des espaces dévolus au service de tous.
Vieillir dans le système que nous proposons est une perspective humaniste où la personne a encore le droit de choisir, le droit à la parole, d’être entendue, pour que cette parole continue à avoir un poids dans le monde des vivants. C’est aussi cela vieillir vivant. Alors l’Ostal, un projet de société ?
Et pourquoi un tel écho favorable ? Il semble que ce projet réponde d’abord à des besoins, ceux d’une génération, celle du baby-boom, plutôt isolée, qui anticipe son cadre de vie et encore en possession de ses moyens physiques et cognitifs, ayant encore une vie sociale et désirant organiser elle-même sa vieillesse future, en dehors des structures existantes. La particularité de cette génération a été de se trouver confrontée aux conditions bien « délicates » de ses ascendants dans les structures telles que les Ehpad et redoutant de finir ses jours dans ces mêmes circonstances. Sa prise de conscience l’incite donc à se prendre en mains pour rester le plus longtemps possible maître de son destin, tout en épargnant à ses descendants les douleurs infligées par la situation de ses propres parents.
Ce n’est peut-être pas un hasard que ces initiatives émanent de la génération 68, qui a toujours été active et encline à vouloir changer la société. Comme un ultime bourgeon de ses espoirs bafoués, désirant, sur une dimension plus réaliste, concrétiser une utopie avant de disparaître ?


par Marthe Tournou, Pratiques N°92, février 2021

Documents joints


[1L’économie sociale et solidaire désigne un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles ou encore d’associations et fondées sur la solidarité et l’utilité sociale.

[2Selon le Portail national d’information pour les personnes âgées et leurs proches, « l’habitat inclusif pour les personnes âgées constitue une alternative à la vie à domicile et à la vie en établissement. Les habitants y vivent dans des espaces privatifs, tout en partageant des espaces communs et un projet de vie sociale. »

[3hab-fab.com


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