Sylvie Cognard,
Médecin généraliste
On trouve des mises en cause judiciaires de médecins à partir du XVIIe siècle en France. C’est à partir de cette époque que la relation médecin-malade a été définie juridiquement et que les règles de la responsabilité médicale se sont construites.
Dans les archives judiciaires des XVIIe et XVIIIe siècles, on identifie des mises en cause de la responsabilité médicale ; elles visaient surtout les chirurgiens pour des opérations courantes où il était aisé d’apprécier le caractère fautif par négligence, imprudence ou ignorance. Les médecins restaient protégés par la nature ésotérique et doctrinale de leur savoir.
En 1804, des règles sont instaurées en matière de responsabilité par le Code civil. Ces règles reposent sur un principe permettant à toute personne s’estimant lésée de demander réparation à celui qui lui a causé un préjudice.
Le Code pénal de 1810 comportait des articles sanctionnant « quiconque par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide ou en aura été involontairement la cause. » Un débat doctrinal s’est ouvert à cette époque entre les auteurs soutenant que la généralité du Code civil devait s’appliquer aux docteurs en médecine et les auteurs estimant que les médecins ne relevaient que de leur conscience.
Une saignée réalisée par un médecin, en octobre 1832, se solda par l’amputation d’un bras de son patient. Le tribunal condamna le praticien à indemniser sa victime, « attendu que si la justice doit protéger les professions libérales contre le caprice [...] ou même contre les plaintes légitimes, mais légères, cette protection toutefois ne peut s’étendre aux abus graves, aux fautes dans lesquelles il n’est permis à personne de tomber ». L’affaire alla jusqu’en Cour de Cassation, laquelle confirma le premier jugement, le médecin devant répondre devant la justice comme tout citoyen. On retrouve ces considérations traduites dans un manuel de médecine légale en 1874.
Quelques condamnations plus tard, un médecin légiste constatait avec lucidité : « Plus la médecine deviendra scientifique, plus les règles de l’art seront précises et nombreuses, plus les procès en responsabilité augmenteront [...] »
De 1830 à 1930, la relation médecin-malade a été considérée, du point de vue de la responsabilité, comme une relation fortuite non juridiquement organisée.
En 1936, il est établi que la responsabilité du médecin pouvait être recherchée jusqu’à trente ans après l’accident. Cependant, il incombait au patient demandant réparation de prouver la faute du médecin et elle se heurtait bien souvent à de nombreux obstacles... Conscients de ce déséquilibre en défaveur des victimes, les magistrats ont donné peu à peu à la faute une signification très large s’étendant jusqu’à la simple erreur.
L’arrêt Petit de 1965 accorde une indemnisation partielle au titre de la « perte de chance » alors que la relation de causalité entre la faute et le dommage était incertaine.
En 1997, la Cour de Cassation a rappelé l’article 315 du Code civil : « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » pour confirmer que le médecin est tenu d’informer son patient des risques inhérents à une intervention.
Au cours des années 1990, la Cour de Cassation a admis, à côté de l’obligation de moyen, une obligation de résultat, dans le cadre particulier des infections nosocomiales. Un arrêt de février 2001 valide le fait que « le devoir d’asepsie est une obligation fondamentale des médecins [...] ».
Ainsi, en un peu plus de deux siècles, le médecin est passé d’une impunité presque totale à des possibilités de mise en cause largement développées par la jurisprudence civile.
La loi du 4 mars 2002 a intégré dans le Code de la santé publique ces différentes évolutions jurisprudentielles sous forme de « droits des malades » : droit à l’information, à l’accès direct au dossier médical, droit de représentation, au respect de la vie privée, etc.
Référence : « Judiciarisation de la médecine : réalité ou idée reçue ? » Prescrire, juillet 2010, Tome 30 N° 321.