Didier Ménard
Médecin généraliste
J’ai souvent écrit dans la revue Pratiques pour relater mon travail à la cité du Franc-Moisin, j’ai beaucoup parlé de ma passion pour l’exercice de la médecine générale en quartier populaire et de mon admiration pour la population de la cité qui, face à la souffrance sociale, témoigne d’un grand courage et fait vivre des valeurs de solidarité. Nous avons construit un centre de santé communautaire dont je suis très fier. Aujourd’hui, six médecins généralistes, quatre médiatrices en santé, une musicothérapeute, une équipe d’accueil et de gestion œuvrent tous les jours au cœur de la cité pour permettre la continuité des soins et la promotion de la santé. Cette association, c’est l’aboutissement d’un projet, c’est l’utopie de croire que nous pouvons, dans ces quartiers de relégation, construire une alternative à la société de l’individualisme et du tous contre tous, c’est l’engagement au service de l’espoir d’une autre société.
Alors que nous avions surmonté au premier semestre 2017 les habituelles difficultés pour continuer à exister, cet été, la brutale décision du gouvernement de M. Édouard Philippe de réduire le budget de la politique de la ville et de ne pas renouveler les emplois aidés nous condamne à cesser notre activité si nous ne pouvons pas garder nos six emplois aidés en 2018.
Nous avons toujours proclamé que ces emplois éphémères n’étaient pas adaptés au travail pérenne des associations de proximité dans les quartiers populaires. Nous nous sommes adaptés à un mauvais système pour pouvoir continuer à bien travailler. Dire aujourd’hui que ces emplois sont « inefficaces et coûteux » est une trahison, c’est faire preuve d’une terrible ignorance quant à l’importance du travail et c’est ne pas comprendre que plus nous tissons du lien social, plus nous permettons l’accès aux soins et plus nous diminuons les dépenses sociales et de santé.
Les personnes qui occupent ces emplois trouvent difficilement du travail dans le privé parce que ces emplois n’existent pas. Quel gâchis de les licencier alors qu’elles portent avec détermination et compétence le projet de nos associations, à savoir entretenir les liens entre des personnes fragilisées et les aider à trouver des solutions à leurs difficultés. Ce sont de belles personnes, elles ont souvent eu un parcours de vie chaotique et ont trouvé au sein de nos équipes les moyens de redonner du sens à leur vie. Mais cette richesse-là ne compte pas parce qu’elle n’est pas une marchandise.
Pourquoi faut-il toujours avoir à faire la preuve que soigner ceux qui souffrent le plus dans notre société nécessite un peu de considération de la part des gouvernants ? Nous, qui travaillons au quotidien pour compenser l’incurie des institutions, ne sommes pas une ligne budgétaire ni une statistique économique, nous sommes une réalité dans la vie des gens, là où notre société est la plus inégalitaire.
Ce gouvernement méprise les quartiers populaires, c’est son choix, mais en nous le signifiant de cette façon brutale, il nous met en colère. Les habitants de notre cité en ont assez d’avaler des insultes et cette colère pourrait bien gronder prochainement.