Parler d’autonomie est un défi, tant ce mot peut-être utilisé de manières différentes. L’autonomie serait la faculté d’agir par soi-même en se donnant ses propres règles de conduite, sa propre loi. L’autonomie serait alors synonyme de liberté... Cette notion repose cependant sur un paradoxe fondamental : l’autonomie est une dynamique positive de liberté, d’émancipation, mais ne peut se développer que dans le lien à autrui. Le paradoxe apparaît clairement dans le domaine de la santé et c’est ce que numéro tente d’explorer, tant du côté des usagers que du côté des soignants.
L’autonomie du patient est affirmée par la loi. Concrètement, de quel patient parle-t-on ? Comment et dans quel contexte peut-il consentir ou refuser des soins ? Qui peut accompagner les patients dans la formulation de leur autonomie : les associations de patients, les comités d’éthique ? Pour s’approprier la conduite de leur santé, contre ou en dehors de l’emprise médicale, certains s’inscrivent dans des pratiques d’auto-soins, participent à des groupes d’entraide. Peut-on dire pour autant qu’il y a rejet des savoirs médicaux ? S’agit-il de mobiliser autrement à la fois des savoirs professionnels — savoirs formalisés, ce que l’on sait — et des savoirs personnels, ce que je sais ?
On ne peut que constater qu’il existe des inégalités dans l’accès à l’autonomie, dans la possibilité d’être autonome.
Nos sociétés prêchent en apparence l’autonomie des individus conduisant souvent à des situations de quasi-abandon, mais valorisent de fait l’individualisme avec pour effet de casser les collectifs et les solidarités. Elles instaurent parallèlement des systèmes de surveillance, voire de contrainte.
Or ce qui permet de soigner n’est-il pas le lien entre le prendre soin et le respect du libre arbitre, l’accompagnement dans un processus d’autonomisation, ou de préservation de l’autonomie ? À quelle marge de manœuvre les soignants peuvent-ils prétendre ? L’autonomie peut-elle être individuelle ou s’inscrit-elle dans la solidarité ?
Lorsque les déterminismes sociaux, culturels ou familiaux nous paraissent aller à l’encontre de nos aspirations profondes, on peut être contraint de s’en extraire, de s’arracher, voire de leur tourner le dos. Autonomiser notre pensée peut s’accomplir à côté ou contre la pensée commune, pour envisager notre devenir... La conciliation entre autonomie privée et collective devient alors source de changement.
N°68 - février 2015
---- Dossier : « Autonomie » et santé
Pratiques N°68, février 2015