Partager la blouse blanche

Martine Lalande, médecin généraliste

L’hypertension artérielle n’est ni un symptôme ni une maladie, c’est un facteur de risque. Qui fait risquer l’accident vasculaire qui laisse paralysé. D’où l’intérêt de savoir si on en a, car cela ne se sent pas, et de la maîtriser. C’est aussi très intéressant pour l’industrie qui vend de multiples médicaments pour ce problème, toujours des nouveaux toujours plus coûteux, et qui souhaite qu’on en prescrive beaucoup. Jusqu’à influencer les autorités sanitaires qui, de temps en temps, baissent dans leurs recommandations le seuil des valeurs normales pour traiter plus tôt, sans que l’on sache si l’on va sauver des vies ou les compliquer avec les effets secondaires des médicaments.

En tout cas, le message est passé et, en France, une consultation sans prise de tension est une consultation bâclée… Combien de fois avant de partir, le ou la patiente demande : « Au fait, vous n’avez pas pris ma tension ? » en tendant le bras… On se prête au jeu en expliquant : ce qui est dangereux, c’est une tension trop haute, la vôtre est toujours basse, cela ne nous intéresse pas… Patient(e) interloqué(e), mais content(e) qu’on ait… pris sa tension.

Mais aussi parfois, la prise de tension est à risque… de trouver une tension trop haute parce que le seul geste de la prendre est stressant. C’est la tension « blouse blanche », même sans blouse blanche et même à la maison. Il faut savoir patienter, la reprendre, ne pas se précipiter pour en faire une maladie et décider trop vite d’un traitement.

C’est alors que l’électronique arrive à notre secours. Les appareils électroniques, utilisables par des enfants de cinq ans, sont aussi fiables, si ce n’est plus que nos brassards à pompe manuelle qui surmènent les poignets des docteurs. À affichage digital, ils peuvent être programmés pour trois prises de suite, ce qui atténue l’effet de surprise. On le prête, le patient prend sa tension dans son fauteuil et revient avec sa feuille, moyenne faite par l’appareil, et c’est souvent normal. Si cela ne l’est pas, on discute et on avise. Quand on travaille avec des pharmaciens, ce sont eux qui le proposent aux patients et qui leur expliquent. Il faut avoir un certain nombre d’appareils, noter la date où on l’a prêté et le téléphone du patient, et ça roule.
Dans mon réseau (pôle de santé universitaire pluriprofessionnel de banlieue), des étudiants ont enquêté sur cette façon de faire. Ils remarquent que le prêt de l’appareil d’automesure aide à diagnostiquer plus tôt certaines hypertensions, à repérer des déséquilibres pour améliorer le traitement et à éliminer un bon nombre d’hypertensions « blouse blanche ». Mais surtout, cela permet d’impliquer le patient, qui se sent plus actif dans la prise en charge de son problème de santé, ne serait-ce que pour accepter qu’il n’en soit plus un, ou remis à plus tard. Et aussi pour pouvoir discuter de son traitement. Les médecins acceptent de relativiser leur autorité, de remettre en cause leur diagnostic et de le partager, et sont obligés d’expliquer aux patients quels choix on leur propose.

Une expérience débute avec les pharmaciens qui, depuis toujours, offrent un lieu où prendre leur tension pour les patients. Comme les médecins, ils vont déléguer cette expertise aux patients en leur prêtant des appareils d’automesure, pour mieux en discuter au retour.

Cela semble dérisoire, mais un travail entre médecins, pharmaciens et patients procède d’une autre conception de l’accès à la santé. Où l’on reconnaît la place des premiers concernés et l’importance de la discussion à égalité avec les professionnels du soin.

par Martine Lalande, Pratiques N°69, mai 2018

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