Dagobert I

Il craignait d’entrer dans l’éthéromanie à cause de son inertie perpétuelle et totale. Alors il prit la décision de prendre son indépendance et de se détacher du cocon familial. Un soir dans sa chambre il rassembla toutes ses affaires dans une grosse valise posée sur le lit et rejoignit la gare à deux pas d’ici. [...] Perdu au milieu de la masse de gens il se délaissa au gré du hasard et se dirigea lentement vers la sortie la plus commode à atteindre. Il s’assit sur les marches et resta là pendant des heures, quand le matin nuageux apparu. Alors que les éclairages étaient encore allumés sur les boulevards et les rues l’ambiance se faisait morose. Il rentra chez lui discrètement sur la pointe des pieds déposa son fardeau et se mit à taper une lettre sur le clavier de l’ordinateur. Il écrivit durant plus d’une heure sous sa lampe du bureau.
Pour moi tu n’es qu’un ectoplasme énigmatique et surtout exaspérant, car tu es muet. Mais quand je regarde à l’horizon de la mer je pense au néant donc à toi, puisque tu es du vent. Le paradoxe est que tu me laisses la gloire de m’exprimer abondamment sans barrière. Je me suis construit un personnage dans ma tête. Je sais comment il pense, ce qu’il aime, ce qu’il déteste. [...] Il n’y a aucune progression parce que je parle à la galaxie donc aucune route aucun rendez-vous juste rien. Ce n’est pas l’amour qui m’intéresse non mais plutôt un intérêt peu commun. La voie lactée est insaisissable, il n’y a pas de verrou. Tous mes appels au secours sont vains la seule possibilité de te rejoindre est de mettre un terme à ma vie. Cette méthode serait contredite par mes médicastres autodidactes, mais ce qu’ils ne savent pas c’est que seul celui qui porte la charge sait combien elle pèse. Enfin je vais pouvoir danser avec toi dans le noir étoilé. Encore quelques minutes et je serais dans tes bras près de la vérité.
Le bruit strident du réveil intervint brusquement. Sept heures, le temps était venu pour lui de boire un cocktail d’anxiolytiques avant de se jeter de sa fenêtre du troisième étage. Il tomba sur le toit d’une Berline juste en bas à quelques mètres. Une sorte de coussin en tôle, l’impact l’évanouissait seulement.
Quelques jours après il se réveillait de son coma la tête enfarinée. Il était sûr que sa chambre juxtaposait la salle d’opération, car il entendait les cris des patients agonisants [...] Il se détache de toutes les perfusions qui l’embêtaient. Emprunte ensuite en chemisette les escaliers... Dans la panique Il va au sous-sol le plus rapidement possible et rentre par inadvertance dans une zone interdite au public. Il voit les deux portes d’une étagère ouvertes il s’en approche pour s’emparer de la clé d’un véhicule. [...] Il démarre en trombe dans le parking prend un sens inverse arrive à un carrefour et rattrape l’autoroute direction Aix-en-Provence. [...] Arrivé à destination il lui fallait trouver un endroit pour se reposer, et heureusement qu’il avait pensé à récupérer ses effets personnels dans le tiroir de la table de chevet, enfin du moins son portefeuille, son téléphone portable et sa montre. L’heure des embouteillages survint, quand tout le monde sort du travail, alors sans scrupule il actionne la sirène et les automobilistes lui frayent un chemin comme s’il était un roi.


Pratiques N°67, octobre 2014

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