Comme si de rien n’était

Depuis la mi-mars les hypothèses d’un monde différent à la sortie du confinement ou de l’épidémie vont bon train sur le jour d’après. Promesses présidentielles solennelles d’un côté, paris sur une prise de conscience populaire traduite en mouvement social de l’autre, rien de tout cela n’a été suivi d’effets. Le plus jamais ça est renvoyé aux calendes grecques.

Les applaudissements quotidiens de 20 heures ont été dévoyés dans un conte à la « Ségur » qui permet aujourd’hui de contraindre davantage encore plus les personnels soignants après leur avoir consenti une misérable aumône. La porte est maintenant grande ouverte au travail en 12 heures, les repos et les congés deviennent encore plus aléatoires pour les personnels soignants. Les directions d’hôpitaux n’ont plus rien à envier aux patrons voyous en imposant des embauches inférieures à un mi-temps pour carotter ainsi les cotisations sociales. Toujours moins de moyens pour le service public hospitalier à bout de souffle en faveur d’un secteur privé commercial à l’affût pour récupérer le pactole de ceux qui pourront se le payer.

Le projet de loi de financement de la Sécu pour 2021 prévoit de faire payer un forfait aux personnes qui auraient recours aux urgences sans être hospitalisées, sous couvert de responsabilisation. C’est dénier que ce recours aux urgences est souvent lié au fait de ne pouvoir avancer le prix d’une consultation ou à la carence en médecins généralistes. Les plus pauvres en seront les premières victimes, car c’est la population la moins bien lotie qui fait les frais des politiques d’exception de l’urgence sanitaire qui tendent à perdurer indéfiniment. C’est une autre rengaine que celle de montrer du doigt le non-respect des « gestes barrière » avec en toile de fond la culpabilisation de populations ciblées pour masquer l’appauvrissement du système de santé.

Comme si de rien n’était ? Pas vraiment ! Ce virus semble constituer un effet d’aubaine, c’est un turbo pour le rouleau compresseur néolibéral qui broie le service public de santé et affaiblit encore plus la Sécu en lui faisant payer les cadeaux aux entreprises sans contrepartie. Les mêmes ingrédients, responsabilité, culpabilité, encore et toujours se retrouvent dans cette recette libérale.

De notre place, avec nos moyens, nous espérons contribuer à voir plus clair dans cet univers de manipulation et de désinformation. Modeste contribution qui, nous l’espérons, sera de nature à nourrir une pensée critique capable de remettre en cause les politiques mortifères de santé qui se gavent de la peur et des souffrances au quotidien d’une population maintenue dans l’incertitude du lendemain, culpabilisée dans l’expression de son désir de vivre. Notre capacité à comprendre et à anticiper les évènements dépend des outils de pensée que nous nous forgeons dans la rencontre, dans la capacité à entendre la diversité.
Cela doit nous aider à développer notre capacité à agir.

La rédaction


par pratiques, Pratiques N°91, novembre 2020

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