Annie Stammler
psychiatre, psychanalyste
Maria avait un « langage » à elle, elle poussait des cris rappelant ceux de certains oiseaux. De ses lèvres, elle émettait des bruits de criquets, de batraciens, bref c’était l’éventail de la bruyance qui se manifeste lorsque la nuit tombe, dans l’île lointaine où elle avait vécu ses cinq premières années.
Le diagnostic d’autisme avait été porté dans les suites d’un bilan en milieu hospitalier. Elle allait en hôpital de jour où elle avait été admise à l’âge de quatre ans.
Maria porte le nom de sa mère, qui était lycéenne dans le temps de sa grossesse. Le départ vers la région parisienne semble s’être fait de façon impulsive, c’est ce qui est mentionné dans le dossier médico-social accompagnant. La mère venait d’être reçue à des concours administratifs lui permettant de travailler en métropole. C’est ainsi que Maria avait été admise à l’Internat médico-pédagogique (IMP), accueillant des enfants handicapés mentaux profonds, dans lequel j’occupais un poste de psychiatre à mi-temps.
Le père, de quelques années plus âgé que la mère, était décrit dans ce même dossier comme « immature », un qualificatif plutôt rejetant, et bien vague de sens.
Il envoyait à sa fille des cartes postales qui lui étaient lues, sans réaction apparente de sa part ; il était toujours question du vent soufflant en rafales dans l’île. Les parents s’étaient séparés alors que Maria avait dix-huit mois.
Maria avait passé sa première année chez ses grands-parents paternels. Par la suite, elle allait faire d’incessantes allées et venues, allant du domicile des grands-parents paternels à celui des grands-parents maternels et inversement, les frictions entre les deux familles étant permanentes. À l’IMP, Maria se présente comme une enfant toujours vigilante, enfermée dans des stéréotypies bruyantes. Elle a parfois des « attitudes d’écoute » que les adultes ne tolèrent pas toujours. Ce n’est que lorsqu’elle est amenée à la piscine, au poney club, au trampoline, qu’elle se montre détendue.
À l’inverse, elle peut se montrer très violente, notamment à l’égard d’autres enfants qui l’approchent d’un peu trop près, comme en ce jour où il avait été nécessaire de l’isoler ; elle venait de fracturer plusieurs doigts chez deux enfants... Dans une pièce à distance de l’Internat, parfois utilisée en tant que salle d’attente, l’Aide Médico Psychologique (AMP) à laquelle Maria avait été confiée avait avisé un livre dont la couverture représentait un oiseau. Elle en avait commencé la lecture. À vrai dire, j’ignorais que ce livre qui a pour titre Poussiérot le corbeau, et dont je suis l’auteur, se trouvait dans ce lieu.
Soudainement, Maria « éclata de rage ». Ces termes sont ceux de l’AMP qui suspendit sa lecture pour la reprendre depuis le début de l’histoire, alors que l’enfant s’était calmée. Maria entra de nouveau dans un accès de colère. L’AMP remarqua alors qu’il s’agissait du même passage. Il s’agissait du passage ayant trait au départ du père.
Rien jusque-là n’avait suggéré, chez cette enfant difficilement approchable, une telle capacité d’écoute. Autour d’elle, constamment, ce n’étaient qu’agirs désordonnés, conflits incessants qui n’étaient pas sans rappeler ceux à l’œuvre au niveau des deux familles paternelles et maternelles.
Il y eut, à partir de la surprise occasionnée, une mise en circulation de la parole. L’AMP était venue me parler, de Maria, du livre. J’avais convoqué la mère qui était dans un grand désarroi en même temps que dans une demande d’aide, un récent week-end s’étant passé de façon intolérable dans l’agitation et les cris. Plusieurs entretiens purent avoir lieu. Elle parlait différemment de son enfant qui n’était souriante que lorsqu’elle était avec son père ou sa mère. Puis elle envisageait un départ au pays.
Dans l’internat, le tumulte habituel autour de cette enfant s’atténuait considérablement. Des mots apparaissaient que signalait son éducatrice, pas n’importe lesquels, « pipi » et « caca » lorsqu’elle en avait empli ses couches. Elle accepte le pot qu’il n’avait pu être question d’utiliser tant elle hurlait lorsque tentative en était engagée. Elle faisait moins peur, on acceptait sa violence qui avait disparu...
Mère et fille sont reparties vers leur île. Une solution de suite a été mise en place.
Un autre regard avait pu être posé sur elle.
Annie Stammler, Poussiérot le corbeau, Paris, L’Harmattan, 2012.