Un lieu pour le dire

Irène Mériaux
Gynécologue

        1. Comment, en médecine, permettre l’expression de la violence subie par les femmes ?

Récemment, j’ai assisté à une formation sur les violences faites aux femmes.

Dès le lendemain, très motivée par cette formation, j’expérimentais dans mon cabinet de gynéco (où je remplace tous les lundis depuis plus d’une année) le dépistage systématique des violences faites aux femmes. Il fallait d’abord trouver la formulation avec laquelle on est à l’aise… « Avez-vous déjà subi des violences ? Dans l’enfance ? À la maison ? Au travail ? » ou une formulation moins frontale : « Avez-vous déjà subi quelque chose qui vous fait encore souffrir aujourd’hui ? » J’essayais les deux, selon le feeling… Je me sentais à l’aise, car convaincue de l’utilité de la démarche pour le bien-être de ces femmes que j’allais rencontrer, consulter ce jour-là.

En début d’après midi, je décidai, malgré ma grande motivation du début de journée, d’arrêter là l’expérience… Quatre femmes, qui venaient pour leur suivi gynéco annuel, m’avaient livré leurs souvenirs, leurs souffrances… En fin de journée, je posai tout de même la question à une cinquième femme sur « signe d’appel ». J’étais exténuée, je me sentais trop pleine de toutes ces histoires que l’on m’avait confiées.

Dans leurs récits, une grande diversité de scénarios : le cousin, l’ami du père, le frère, l’oncle, le prof… Agression récente ou qui remonte à 40 ans… exprimée dans un gros sanglot soulageant ou racontée d’une voix presque apaisée… Mais toutes avaient un point commun : le huis clos dans lequel ces souffrances étaient enfermées qui soudain éclaboussaient les quatre murs de mon petit cabinet intimiste de gynécologue.

Ensuite, en groupe de pratiques (gynéco/sexo), nous avons réfléchi au dépistage systématique, dans le cadre du remplacement dans un cabinet de gynéco et non pas installés en médecine générale.

Chacune de ces femmes a pu déposer, réfléchir, faire un point sur ce souvenir, à ce moment de sa vie. Mais pour en faire quoi ? Cela leur appartient, mais elles ont pu entendre que si elles souhaitaient lever le huis clos, nous serions à leur côté.


par Irène Mériaux, Pratiques N°75, octobre 2016

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