Sensations en coulisse

Marion M travaille dans un restaurant situé à côté d’une salle de spectacle. Elle y a interrogé des collègues sur leurs consommations de drogues.

Marion M.,
apprentie ethnologue travaillant dans la cuisine

À quoi servent les drogues ? Y voit-on une utilité ? C’est plutôt un petit plaisir. Si l’on n’est pas accro bien sûr. Chez les gens que je fréquente, l’utilisation de drogue est synonyme de petits plaisirs ou petits excès qui participent à une soirée pas forcément meilleure, mais en général plus longue. La seule drogue qui aurait une utilité réelle, devenue indispensable pour certains (même si le sevrage ne dure que quelques jours), c’est le petit joint avant de se coucher, qui a une vertu thérapeutique notoire : s’endormir de façon rapide et efficace. Qu’est-ce que le produit apporte ? Il faut préciser de quel produit on parle et de la fréquence de prise. L’alcool est-il considéré comme une drogue ? Même si c’est tout à fait légal, cela met sacrément en vrac. Et même si les utilisateurs réguliers de drogues classent ce genre de « défonce » dans une catégorie différente des drogues illégales, ils s’accordent tous sur le fait que l’alcool est tout autant redoutable et relativement visible (on titube vachement plus avec l’alcool qu’avec autre chose...).
Sinon, les gens que je fréquente sont assez adeptes de cannabis (sous toutes les formes que ce soit herbe ou shit, pur ou non, en joint ou pas). Ils le consomment de façon presque systématique le soir avant de dormir et très régulièrement après les concerts, quand ils finissent de ranger la salle. C’est le break, on se le garde pour la fin, ça a l’air de détendre après une journée de boulot.
Ils sniffent aussi de la cocaïne, chacun sa paille sans aucun échange, ils sont très clean de ce côté-là (dans un bar, les pailles, ce n’est pas ce qui manque !). Ils consomment de façon occasionnelle, mais régulière. C’est selon l’envie de chacun, et souvent avant d’aller en acheter, il y a une concertation (qui en prend ? Combien ?). À 70 euros le gramme, ils l’utilisent pour des soirées particulières ou pour allonger une soirée qui parfois se finit en longues discussions à la maison (cela a tendance à tenir éveillé, visiblement). MD, LSD, Champy, Ecstazy... sont plutôt à l’essai ou du moins de façon beaucoup plus rare, dans l’optique de la curiosité des effets et de recherche de sensations fortes. Ils s’accordent à dire que c’est une sensation qu’on ne peut pas réellement expliquer à quelqu’un, qu’il faut avoir vécue pour comprendre et qu’on ne retrouvera jamais ailleurs que dans ce type de défonce. Avec des souvenirs extrêmement forts, intenses et incroyables. C’est décrit comme une expérience, une expérimentation complètement étrange des capacités du cerveau et de l’étrangeté physique qui en découle : avoir l’impression d’être un géant ou un nain, être mou, mouvant, léger, voir les choses de façon nette, floue, qui bouge ou pas, colorée... Tous ces utilisateurs occasionnels et non accros reconnaissent que c’est une expérience fatigante, que la descente n’est pas une partie de plaisir et que ça laisse des traces physiques (cernes, amaigrissement...).
En parler à son médecin ? J’ai cru comprendre qu’ils n’en parlaient pas beaucoup. Pour les non accros, les drogues ne constituent pas un souci médical ou pas un souci du tout. Donc le besoin d’en parler à un médecin est inexistant. De plus, sans non plus que le sujet soit tabou, ils ne sont pas forcément hyperfiers de leurs prises de drogue, en tous cas ils ne la prônent pas. Cela reste un acte illégal et très personnel, sur lequel ils n’ont pas envie d’être interrogés par des personnes extérieures. Tant qu’ils arrivent à le gérer, cela leur suffit.
En tant qu’usagers de drogues, qu’attendent-ils de la médecine ? Il semble que, comme ils ne considèrent pas l’utilisation de drogue comme un problème, ils n’en parlent pas et donc n’attendent rien de la médecine.
MD : abréviation pour MDMA (3,4-méthylène-dioxyméthylamphétamine), amphétamine stimulant du système nerveux central.
LSD : de l’allemand Lysergsäurediethylamid, psychotrope hallucinogène puissant ; principe actif : diéthylamide de l’acide lysergique, dérivé de composés issus de l’ergot de seigle.
Champy : champignons hallucinogènes, de plusieurs sortes avec des effets plus ou moins forts et longs, provoquant hallucinations et diarrhées. Il est recommandé de les prendre en plein air, avec des amis.
Ecstasy : L’ecstasy (extasy, xtc ou taz) contient du MDMA, ou MD en comprimés, souvent coupés avec d’autres produits.


par Marion M., Pratiques N°58, juillet 2012

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